Dans la quatrième partie de ce volume nous avons mentionné que le deuxième
ancêtre de votre grand'mère maternelle, Jean Côté était marié avec Anne
Couture, fille de Guillaume Couture. Ajoutons immédiatement qu'en plus
de se trouver branche maternelle, à la neuvième génération, famille no. 66,
le nom de Guillaume Couture se lit aussi, même branche, à la huitième
génération, famille no. 10; ainsi qu'à la neuvième génération, famille
no. 82.
Guillaume Couture est un héros chrétien avec la pleine signification
que comportent ces deux mots. Sept ans avant son mariage avec Anne Aymard
il était déjà fixé au pays et la Relation du Père Bressani nous fait voir
quels étaient nos pères, quels sentiments animaient leurs actes, de quelle
grandeur d'âme ils étaient capables.
« Le 2 août 1642, dit le père Bressani reproduit dans Ferland
"Cours d'Histoire" (Vol.l, page. 316 et suivantes), les Hurons, avec
douze canots, reprenaient le chemin de leur pays, ramenant avec eux
le Père Jogues, Guillaume Couture, interprète, et René Goupil, jeune
chirurgien, qui allait exercer son art auprès des chrétiens.
Les voyageurs avaient laissé les Trois-Rivières depuis deux jours et
étaient très probablement arrivés aux îles du lac Saint-Pierre, lorsqu'ils
découvrirent sur le rivage l'empreinte des pas de quelques hommes. À
peine avaient-ils fait encore un mille de chemin, qu'ils furent enveloppés
par une bande de près de quatre-vingts Iroquois, qui, par une décharge
d'arquebuses, forcèrent les canots à prendre terre.
En touchant le rivage, presque tous les Hurons s'enfuirent dans la
forêt. Quelques-uns seulement restèrent fermes, et, soutenus par quatre
Français, se défendirent vaillament; mais enfin, écrasés par le nombre
des ennemis, qui recevaient des renforts, ils furent contraints de fuir,
en laissant au pouvoir des Iroquois, René Goupil et plusieurs Hurons.
Le Père Jogues aurait pu les suivre; toutefois ne voulant pas abandonner
les prisonniers, il alla se rendre à l'un de ceux qui étaient chargés
de les garder. Bientôt après, le chef chrétien Eustache Ahatsistari
et d'autres Hurons furent amenés pour grossir le nombre des captifs.
Le dernier qui revint auprès du P. Jogues fut Guillaume Couture. Jeune,
plein de feu et d'agilité, il s'était enfoncé dans les bois, laissant
les ennemis bien loin derrière lui, lorsque, s'apercevant que le Père
Jogues ne l'avait point suivi, il vint de lui-même s'offrir pour partager
sa captivité.
Fiers de leur victoire, les Iroquois commencèrent aussitôt à tourmenter
leurs victimes; et Couture, qui dans le combat avait tué un de leurs
chefs, fut exposé à toute leur fureur; ils lui arrachèrent les ongles,
lui broyèrent les doigts avec les dents, et lui passèrent une épée à
travers la main. Quelque atroce que fut la douleur, il la supporta avec
calme et sang-froid.
Les Iroquois reprirent le chemin de leur pays, chargés de butin; chaque
soir, ils se délassaient des fatigues de la journée en tourmentant les
captifs. Dans deux occasions surtout, à la rencontre de guerriers qui
allaient en course, les supplices devinrent plus longs et plus terribles.
La première fois, dans une petite île du lac Champlain, les prisonniers
furent « caressés », suivant l'expression des sauvages, par
une bande de deux cents bourreaux, qui mêlaient à leur barbarie une
sorte de bienveillance pleine d'ironie. Comme ils partaient pour la
guerre, ces hommes croyaient obligés de préluder à leurs exploits par
la cruauté.
Après avoir rendu grâces au soleil, dieu des combats, et félicité leurs
frères vainqueurs, par une bruyante fusillade, ils se jetèrent dans
la forêt voisine pour y couper des bâtons. En mettant pied à terre,
les prisonniers eurent à passer au milieu des guerriers rangés sur deux
lignes et frappant de toutes leurs forces avec leurs bâtons.
Le P. Jogues, qui marchait le dernier, tomba écrasé sous les coups
et ne put se relever. À demi mort, il fut saisi et porté sur un échafaud,
où, pendant la plus grande partie de la nuit, on continua à le déchirer
et à le briser ainsi que ses compagnons. Eustache Ahatsistari eut les
deux pouces coupés, et, par la plaie de la main gauche, on enfonça jusqu'au
coude un bâton très aigu; en héros chrétien, il supporta courageusement
ce supplice, que des démons seuls pouvaient inventer.
À la tête du lac Andiatarcotel aujourd'hui le lac George, (le P. Jogues,
en 1646, lui donna le nom de lac du Saint-Sacrement, parce qu'il y passa
au temps où l'on célèbre cette fête de l'Église) le parti laissa ses
canots, et, pendant quatre jours que dura le voyage, les prisonniers,
malgré leur état de faiblesse, furent forcés de porter le bagage.
Ils arrivèrent enfin au premier village des Agniers où le P. Jogues
et René Goupil s'attendaient à voir recommencer leurs tourments.
Pendant la route, ils auraient pu fuir, n'étant point liés et se trouvant
assez souvent éloignés de leurs gardiens; mais le jeune chirurgien ne
voulait point se séparer de son compagnon, et celui-ci aimait mieux
souffrir que d'abandonner les Français et les Hurons qu'il espérait
consoler dans leurs derniers moments.
À l'entrée du village, les captifs furent de nouveau condamnés à passer
entre deux lignes de jeunes gens armés de bâtons et de baguettes de
fer, qu'ils faisaient tomber à coups redoublés sur les malheureuses
victimes.
Les mauvais traitements redoublèrent lorsque les Français et les Hurons
furent montés sur le théâtre élevé au milieu du village. Une Algonquine
chrétienne, captive depuis quelques mois, fut forcée de couper le pouce
gauche au missionnaire; un de ses compagnons eut à subir la même opération,
rendue plus douloureuse parce qu'elle fut faite non avec un couteau,
mais avec une écaille d'huître.
La nuit on les réunissait dans une cabane, où les jeunes gens et même
les enfants s'amusaient à jeter sur eux des cendres rouges et des charbons
ardents.
Le P. Jogues fut suspendu par les bras à deux poteaux plantés dans
la cabane, et telles étaient ses souffrances, qu'il en serait mort,
si un jeune Iroquois n'avait eu pitié de lui et ne l'eut délié. Cette
charité fut récompensée; car, quelques mois après, le Père, l'ayant
rencontré fort malade, l'instruisit, le baptisa et lui ouvrit ainsi
les portes du ciel, le nouveau chrétien étant mort peu après son baptême.
Pendant sept jours, les prisonniers furent traînés de village en village,
ne changeant de lieu que pour trouver des bourreaux plus frais et mieux
disposés à continuer l'ouvre de sang. On leur annonça enfin qu'ils allaient
périr par le feu; et le P. Jogues profita des moments qui lui restaient
pour exhorter ses compagnons à persévérer dans leurs bonnes dispositions,
et à se préparer ainsi à entrer dans une meilleure vie.
Cependant un grand conseil fut convoqué, et il y fut résolu d'accorder
la vie aux Français et à la plus grande partie des Hurons, trois de
ceux-ci seulement étant condamnés à mourir. L'un d'eux était le brave
Eustache Ahatsistari, qui périt au milieu des tortures avec toute la
grandeur d'âme et la patience d'un martyr des premiers siècles de l'Église.
Guillaume Couture fut donné à une famille sauvage, qui l'adopta et le
conduisit dans le village le plus éloigné. »
Guillaume Couture fut délivré au bout de quelques années. Il fut fréquemment
employé dans les négociations avec les sauvages; il se distingua dans
toutes les occasions par son intelligence et son courage. En 1649, il
épousa Anne Aymard et s'établit à la Pointe-Lévis où il fut sénéchal et
capitaine de la côte.
Il mourut en 1702 âgé de 85 ans. Ses descendants sont très nombreux dans
le district de Québec et dans celui de Gaspé. Mgr. Turgeon, archevêque
de Québec, et Mgr. Bourget, évêque de Montréal, descendent, par les femmes,
de ce martyr de la foi. Claude Bourget, le premier ancêtre de Mgr. Bourget,
épousa Marie Couture, une des filles de Guillaume Couture.
René Goupil est l'un de nos Saint Martyrs canadiens. Relisant la narration
ci-dessus, nous constatons que Guillaume Couture est digne émule de René
Goupil.