Somalie : la mémoire des poètes
Présentation suggérée :
Le 9 décembre 1992, les soldats Américains
débarquaient par milliers sur les plages de la Somalie.
On ne parlait que d'elle.
Aujourd'hui, plus rien : les projecteurs se sont éteints sur
le théâtre de la plus importante opération militaro-humanitaire
de l'histoire des Nations-Unies.
Loin des caméras, la plupart des réfugiés somaliens
sont rentrés chez eux.
Ce qu'ils ont trouvé au retour : une société totalement
bouleversée.
600 villes et villages détruits.
Les troupeaux, aussi, ont été décimés, une
tragédie pour ce peuple composé en grande majorité
d'éleveurs nomades.
Dans le sud-ouest de la Somalie, près du fleuve Jouba, 700 familles
vivent dans des abris de fortune.
Ces ex-réfugiés sont en grande majorité des femmes.
Elles sont revenues malgré la sécheresse et les risques
d'une nouvelle famine.
Peut-être plus que les hommes, les femmes ont été
marquées par cette guerre.
On estime à 100 000 le nombre de Somaliennes, de 13 à
70 ans, qui ont été violées depuis le début
de la guerre.
Cent cinquante mille sont mortes en une seule année, en 1992, avant
l'intervention de l'ONU.
Le journaliste Robert Bourgoing a rencontré là-bas une mère
de famille qui, à sa manière, dénonce ces atrocités
et essaie de redonner espoir aux habitants de son village.
Cette femme s'exprime par la poésie, ce qui était, avant
la guerre, la forme d'expression artistique la plus riche et la plus populaire
en Somalie.
Une tradition qui a pratiquement disparu et qu'elle essaie de faire revivre
malgré le chaos qui règne toujours dans son pays.
REPORTAGE (18'30")
MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :
La beauté des femmes ?... (éclat
de rire) Nous, les Somalis, nous avons l'habitude de dire qu'une belle
femme doit être grande, avec une belle couleur de peau, qu'elle
soit claire ou foncée. Elle doit plaire. Elle doit... toujours
être attirante pour celui qui l'aime. Elle doit avoir les lèvres
foncées, des dents blanches, les incisives écartées,
des fesses charnues, les hanches larges, de beaux yeux et de beaux muscles.
COMMENTATEUR :
Quand l'occasion se présente de parler des femmes,
le vieux Mohamed Abdullahi aime bien étaler ses connaissances.
C'est comme un souvenir lointain qui l'agite tout-à-coup et qui
fait rire les autres vieux du village.
Mais ça ne dure pas longtemps.
Parce que nous sommes dans l'extrême sud-ouest de la Somalie, au
milieu de la brousse, dans un village de réfugiés rentrés
d'exil.
Ici, les conditions de vie demeurent très difficiles.
Et avec tout ce qu'elles ont subi, la beauté des femmes n'est pas
un sujet de plaisanterie.
Après quelques instants, Mohamed caresse nerveusement sa barbe
rousse et redevient grave.
MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :
Avant, les femmes avaient du savon, du shampoing, de
l'eau, de jolis vêtements, de l'huile pour les cheveux, un grand
lit pour bien dormir. Elles avaient tout ce dont elles avaient besoin.
Mais aujourd'hui, elles n'ont rien. C'est le résultat de la guerre,
de la famine et des difficultés. Les maladies, la malaria, le manque
de vêtements, de tout...
COMMENTATEUR :
Avant la guerre, Mohamed avait une autre passion :
la poésie.
Il faut dire que dans son pays, la tradition orale a toujours été
extrêmement importante.
Pourquoi ?
Parce que la langue somalie n'avait pas de version écrite jusqu'à
tout récemment (jusqu'à il y a 25 ans en fait).
Dans les documents officiels, les administrateurs communiquaient dans
la langue des colonisateurs : l'anglais, le français ou l'italien.
Mais pour tout le reste, dans les rapports entre les clans et pour s'adresser
directement au peuple, il fallait souvent que les poètes interviennent.
Ces poètes étaient donc bien plus que de grands orateurs.
Ils jouaient, à la fois, les rôles de messagers, de journalistes
et d'historiens, un peu comme les troubadours du moyen-âge.
MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :
C'était notre histoire. On faisait des poèmes
sur les événements du monde. On parlait de tout. On s'informait
avec les poèmes. Avant, quand nous n'avions pas de gouvernement,
nos courriers étaient les poètes. C'était notre autorité.
Le poème était très important dans la culture et
la tradition somalies. Nous y trouvions la sagesse. Parfois, vous croyiez
que quelqu'un était stupide parce qu'il vous tenait une conversation
simple. Mais lorsqu'il vous récitait un poème, il révélait
son être le plus intime, des choses très intelligentes qui
prenaient toute leur importance.
COMMENTATEUR :
Les poètes somaliens ne manquaient jamais d'inspiration.
Comme le dit Mohamed, ils parlaient de tout.
Ils rendaient hommage à la beauté des femmes.
Ils vantaient les qualités de leur chameau.
Ils critiquaient à mots couverts le gouvernement.
Maintenant, les femmes pensent à leur survie avant de se faire
belles.
Les troupeaux ont pratiquement disparu.
Et l'Etat s'est complètement effondré.
Qu'est-ce qu'il reste ?
Il reste la guerre.
Mais là aussi, ce n'est plus un sujet qui peut être chanté
par les poètes.
MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :
On faisait des poèmes sur la guerre quand la
situation était claire. Mais la guerre d'aujourd'hui est totalement
différente de celles que nous avons connues. Quand un homme tue
son frère ou qu'un autre est tué par son propre fils, c'est
la confusion et vous ne pouvez pas composer de poèmes. Les poèmes
sont nés du bonheur et des bonnes choses de la vie. Mais quand
vous êtes dans la détresse et que vous pensez à vos
difficultés, vous ne pouvez pas penser à la poésie.
Quand vous êtes déprimé, il n'y a pas de place pour
les poèmes. Ce cadeau du ciel n'existe plus aujourd'hui.
COMMENTATEUR :
Depuis le début de la guerre, la plupart des
poètes se sont tus.
Mais dans le village de Mohamed, il en reste un, pourtant, qui perpétue
discrètement la tradition.
Chose encore plus rare en Somalie, ce poète est une femme.
Son : Halima Hadji Shafat
Ayan, ramasse du bois pour moi, du bois que je puisse mettre ici. Demande
à Nasra de me donner de l'eau.
COMMENTATEUR :
Halima Hadji Shafat travaillait dans une banque et
vivait richement dans une grande maison climatisée.
Mais pendant son exil au Kenya, tout a été détruit
et pillé.
Aujourd'hui, elle est revenue chez elle avec ses cinq filles et son mari.
Et comme tout le monde, elle doit se construire une case avec des branches
et de la boue.
Son : Halima Hadji Shafat
Apporte moi un peu plus de bois s'il-te-plaît mon enfant chéri.
Donne-le moi, va et ramasse.
HALIMA (traduction) :
Avant, je composais des poèmes pour les grandes
occasions. Quand il y avait des rencontres entre deux clans. Quand il
y avait des mariages. Ou des poèmes pour rire. J'ai commencé
comme ça. Maintenant, je le fais quand quelque chose me trouble...
Quand un poète voit quelque chose, il a souvent envie de faire
partager son émotion. Il enregistre le temps, l'endroit et les
détails. Mais c'est... Seul Dieu le sait ! On peut avoir le
don, mais quand vient le temps de créer, c'est une autre chose.
Il y a des gens qui n'y arrivent pas. Mais il faut essayer.
Son : Mélodie sifflée
COMMENTATEUR :
En fin d'après-midi, dans la cour d'Halima,
alors que le soleil se couche, trois femmes viennent s'asseoir au pied
d'un arbre.
Halima a invité des amies pour leur réciter le poème
qu'elle a préparé.
Un poème sans rimes, qui ressemble beaucoup plus à un long
récit qu'à la poésie occidentale.
Un récit qui ne doit rien à l'imagination.
HALIMA (traduction) :
La guerre est entrée dans notre vie et nous
avons fui.
Nous cachant sous des arbres le jour.
Marchant la nuit pendant ce qui semblait une éternité.
La famine et la soif ont tué la moitié de mon peuple.
Les animaux sauvages ont attaqué et dévoré beaucoup
de gens.
D'autres ont succombé à cette sale guerre.
Nous sommes arrivés dans un exode massif au Kenya.
Dans une situation très grave.
Nous avons demandé de l'aide.
Des organisations se sont réunies.
Les Nations Unies ont établi un camp.
Ils nous ont placés derrière des clôtures électriques.
Il nous ont donné des rations.
Après, nous avons cherché du bois.
Nous avons construit des huttes que nous avons couvertes avec les bâches
de plastique des Nations Unies.
Comment pouvions-nous survivre quand ce qui nous était donné
le jour était volé, la nuit, par les bandits ?
Ils entraînaient nos filles avec eux, les forçant à
porter les rations.
Arrivés à destination, ils les violaient à la pointe
du fusil.
Les violant et les torturant.
Quand nous avons dénoncé leurs crimes,
Ils se sont réunis pour nous attaquer.
Ils sont venus dans nos cases et ils ont abusé de nous.
Les hommes ont subi le même traitement.
Celui qui est allé chercher du bois pour nous, les soldats l'ont
attaqué, aspergé de pétrole et brûlé
vif.
Les pires des oppressions, nous les avons subies dans ces camps.
Quand les femmes âgées et les femmes mariées ont été
violées,
Quand nos hommes ont été brûlés,
Quand nos vierges ont été déchirées avec des
fusils et violées,
Nous n'avons pas pu le tolérer plus longtemps.
C'est à ce moment que nous avons décidé
que chacun devait retourner dans sa région.
Même s'il fallait faire face à la guerre et à la famine,
au moins nous serions dans notre pays.
Son : Ambiance village
COMMENTATEUR :
Halima est revenue du Kenya comme elle était
partie : à pied, sans l'aide du Haut Commissariat des Nations-Unies
pour les Réfugiés.
250 kilomètres de brousse, sans point d'eau entre les villages,
avec son mari et ses filles.
Ils ont eu de la chance : ils sont arrivés sains et saufs.
D'après un commerçant qui emprunte régulièrement
cette piste, chaque jour, deux ou trois personnes meurent de soif ou d'épuisement
sur le chemin du retour.
HALIMA (traduction) :
Les gens de certaines régions ont été
conduits par avions et par camions, là où ils voulaient,
avec de la nourriture et de l'argent.
Mais les membres de mon clan, les Absamé, ont été
lâchés par les Nations Unies.
"Acceptez la main que je vous tend, disait-il,
et je vous conduis par véhicule dans un autre camp, celui de Dadaab.
Là-bas, vous serez derrière des clôtures.
Restez soumis et vous serez nourris !
Si vous n'acceptez pas, sortez d'ici Absame !
Prenez des rations et partez !
Je n'ai pas de transport pour vous.
Partez par vos propres moyens.
Si vous refusez ces deux offres et que vous restez ici,
vous n'êtes plus sous ma responsabilité.
Je lâche les soldats kenyans sur vous.
Ils vous brûleront.
Ce n'est pas mon problème...
Qu'est-ce que j'en ai à faire ?"
Je ne comprends pas le crime que nous avons commis contre les Nations-Unies...
L'après-midi suivant, nous avons réuni nos enfants,
chargé les charrettes des ânes.
Sur notre dos, nous avons porté nos enfants
et nous avons regagné nos régions à pied.
Pour faire une courte histoire,
les peuples de certaines régions
ont été transportés par avions et par camions.
Pourquoi, moi et tout mon peuple, avons-nous dû déménager
sur notre dos ?
Mon peuple est mort de soif, à la merci des animaux sauvages.
Le monde devrait savoir.
Qu'est-ce que nous avons fait pour mériter cela ?
Le monde devrait savoir et nous répondre.
Son : circulation automobile
COMMENTATEUR :
A mille kilomètres du village d'Halima, dans
un bureau climatisé de Nairobi au Kenya, nous avons fait écouter
ce poème à Peter Kessler, le porte-parole du Haut Commissariat
des Nations-Unies pour les Réfugiés.
Voici sa réponse :
PETER KESSLER anglais :
"Well there are probably a great many of reasons
why transport was not available to repatriate the refugees at the time
this woman was returning from Liboi. Among them of course could have been
the cost of the exercise and the fact that very possibly at that time
we could not find firms willing to carry the refugees back to their homeland
because of the danger they would encounter, because of the cost of insurance.
Secondly as well of course there has always been problems in Somalia due
to clans. And you have to find a firm that is able to negotiate its way
across clan territory."
Traduction :
"Il y a probablement plusieurs raisons pour lesquelles nous n'avions
pas de transport pour rapatrier les réfugiés au moment où
cette femme revenait de Liboi. Parmi celles-ci, évidemment, il
pouvait y avoir le coût de l'opération et le fait qu'à
cette époque, très possiblement, nous ne pouvions pas trouver
de transporteurs qui acceptent de rapatrier les réfugiés
à cause des dangers et du coût de l'assurance. Aussi, en
Somalie il y a toujours eu, évidemment, des problèmes à
cause des clans. Et il faut trouver une compagnie qui accepte de négocier
son passage sur le territoire de ces clans."
COMMENTATEUR :
Si le HCR avait l'argent et les moyens de rapatrier
les réfugiés de toutes les autres régions de la Somalie,
Halima se demande bien pourquoi il n'avait pas les mêmes moyens
pour les membres de son clan.
En coulisses, un cadre du HCR reconnait que ce n'est pas par manque d'argent.
Mais tout bêtement, à cause d'une erreur d'appréciation
de certains employés du HCR.
Les réfugiés du clan Absamé vivent dans la région
de la Somalie qui est la plus rapprochée des camps du Kenya.
Ces employés ont donc considéré qu'ils n'avaient
pas besoin de la même assistance que les autres, qu'ils n'étaient
pas une priorité.
Officiellement, pourtant, on s'en tient à des raisons financières.
Si l'ONU a dépensé 3 millions de dollars PAR JOUR dans l'opération
Rendre l'Espoir, Peter Kessler rappelle que les beaux jours de l'aide
humanitaire sont terminés en Somalie.
PETER KESSLER anglais :
- UNHCR has not received the 12 million dollars we
need for repatriation and reintegration assistance. This is the kind of
money that it would cost to build one parking garage in Paris. It's very
frustrating for us because we know what the needs are. But to bring it
home to donor countries is impossible until you have hundreds of people
dying around you on the ground. That's what it takes to get donor countries
to realize how much money it costs to take care of human beings.
- This woman, this poet says at the end of her poem : Why did this
all happen ? Let the world be aware of what happened here. And we
wait for the answer from the world.
- Well. We're waiting for the answer too. We know what the problems are.
But in donor countries, I think there's a feeling of burnout, of Somali
burnout. Because of the number of UN troops killed and the sense of embarassment
that resulted from the situation in Somalia. Somalis have been very demanding
people. Their leaders have been very demanding. And leaders have used
often times any ruse to get foreign assistance which often ends up in
their military wardchest rather than being distributed to their clan followers
in an equitable way. Their leaders have embarassed and frustrated the
western powers so much that it makes it very hard for organizations like
the UNHCR to really get the funds that we need to help these people on
the ground."
Traduction :
- Le HCR n'a pas reçu les 12 millions de dollars
dont il a besoin pour le rapatriement et l'intégration des réfugiés.
C'est la somme qu'on dépenserait pour construire un parking à
Paris. C'est très frustrant pour nous parce que nous savons quels
sont les besoins. Mais pour en faire prendre conscience aux pays donateurs,
c'est impossible à moins que des gens meurent par centaines autour
de vous. C'est ce qu'il faut pour que les gens réalisent combien
ça coûte de s'occuper d'êtres humains.
- Cette femme demande à la fin de son poème : Pourquoi
tout cela est-il arrivé ? Le monde devrait savoir et nous
attendons sa réponse.
- Eh bien, nous attendons la réponse nous aussi. Nous connaissons
les problèmes. Mais dans les pays donateurs, je crois qu'il y a
un sentiment de ras-le-bol, de ras-le-bol de la Somalie. A cause du nombre
de Casques Bleus tués et de l'embarras dans lequel cette situation
les a placés. Les Somaliens ont été un peuple très
exigeant. Leurs LEADERS ont été très exigeants. Ils
ont utilisé la ruse pour détourner l'aide étrangère,
souvent pour alimenter leur machine de guerre plutôt que de distribuer
cette nourriture aux membres de leurs clans. Ces chefs de guerre ont embarrassé
et frustré à tel point les puissances occidentales qu'à
présent, il est très difficile pour des organisations comme
le HCR d'obtenir un financement pour aider ces gens."
Shumburu
On n'a pas besoin de disputes, de faux arguments et
de mensonges. Quand il y a des problèmes, on a besoin de garçons
courageux, forts et actifs. On ne veut pas être mis devant les caméras
tous les jours et lire des livres de mensonges, on n'en veut plus !
N'est-ce pas ? Qu'est-ce que vous allez raconter sur nous ?
Nous devons dire chacun la vérité.
COMMENTATEUR :
Beaucoup de Somaliens sont aussi très amers
vis-à-vis des occidentaux.
Des hordes de militaires, d'humanitaires et de journalistes maladroits,
parachutés chez eux, dans une culture riche et fière qui
ne supporte pas qu'on la regarde de haut.
Shumburu est une vieille femme qui se sent humiliée de dépendre
encore de l'aide humanitaire pour survivre.
Elle profite de notre présence à Hargeisa pour se vider
le coeur.
Shumburu
Laissez-nous nous comprendre. D'abord : Que la
paix soit avec vous. Nous sommes des Somaliens, notre drapeau flottait
au-dessus de nos têtes. Nous l'avons détruit à cause
de notre bêtise. Tu comprends ? Dans les camps de réfugiés
au Kenya, nous avons déjà touché le fond. Après
avoir vécu ça, nous avons ramené nos enfants. Quel
que soit le chemin que nous puissions prendre, nous l'avons fait. Nous
sommes revenus dans notre pays natal, n'est-ce pas ? Quiconque veut
nous assister est le bienvenu. Ceux qui ne veulent pas nous aider, il
vaut mieux qu'ils ne remplissent pas leur caméra avec nous. Tu
comprends ? Nous ne mangeons pas ce que les ânes mangent.
Nous sommes une espèce supérieure. Pendant 30 ans on a eu
un drapeau qui flottait dans le ciel. On avait une armée, des projets,
et on avait tout. Nous nous sommes détruits, n'est-ce pas ?
Ne nous apportez pas maintenant ce qu'habituellement vous donniez aux
oiseaux et aux ânes. Nous voulons du riz, de l'huile, du beurre,
de la farine, ce que les maîtres habituellement mangeaient. Apportez-nous
des spaghettis ou ne nous apportez rien ! Nous pourrions manger notre
herbe. Laissez-nous seuls et au revoir ! Ciao !
Son : Appel à la prière
COMMENTATEUR :
Comme tous les jours, la mosquée d'Hargeisa
est pleine.
Il n'a pas plu dans le sud-ouest de la Somalie, les récoltes sont
perdues et les gens ont épuisé leurs dernières réserves.
En attendant la pluie, il n'y a, semble-t-il, qu'une chose à faire
ici : prier.
Son : Prière
COMMENTATEUR :
Jusqu'à la prochaine saison des pluies, les
habitants d'Hargeisa peuvent aussi compter sur une aide matérielle.
Le Comité International de la Croix-Rouge distribue ici des rations
de haricots, d'huile et de sucre.
Son : Ambiance case
COMMENTATEUR :
Chez elle, Halima nous montre quelques poignées
de haricots dans le fond de sa calebasse.
C'est tout juste ce qu'il faut pour tenir encore une semaine.
Jusqu'à la prochaine distribution de la Croix-Rouge.
Pourtant, Halima ne s'en plaint jamais.
Elle est consciente de son influence et de sa responsabilité comme
poète.
Et elle reste étonnamment fière dans sa poésie.
HALIMA (traduction) :
Peuple de Hargeisa, je vais vous dire une petite chose.
Nous sommes un peuple en lutte.
Nous avons survécu au pire.
Le coeur et l'amour que nous avons ramenés dans notre pays seront
bientôt comblés.
Arrêtez de vous plaindre de la famine.
Arrêtez d'attendre des organisations qu'elles vous nourrissent.
Supplier et tendre la main n'arrêteront pas la faim
et les difficultés auxquelles vous êtes confrontés.
Ca, c'est un fait.
Notre pays est riche.
Vous y trouvez toutes sortes de choses :
maïs, sorgho et trois types d'huile.
Le tournesol et le sésame brillent au soleil.
Les arachides poussent dans le sol.
Vous avez tous les légumes et tous les fruits.
Tout ce que vous avez à faire,
c'est de vous mettre à genoux et de manger votre paradis.
Son : Mélodie sifflée
HALIMA (traduction) : Peu de femmes récitent
des poèmes. Elles ont peur de s'exposer devant des groupes et de
parler de certaines choses. Elles ont même peur de participer à
des réunions ou des rassemblements. Il y en a qui sont envahies
par les émotions. Elles veulent parler mais elles ne le peuvent
pas. Il y en a qui, à cause de leur peur, ne peuvent pas dire ce
qu'elles ont composé. Elles ressentent si profondément ce
qu'elles ont à dire qu'il leur est impossible de ne pas s'effondrer
en larmes. Elles se rappellent de cette sale guerre, et c'est là
qu'elles pleurent... Moi aussi, je pleure. Quand je vois beaucoup de bonheur,
je pleure.
Son : chanson d'amour somalienne
HALIMA (traduction) : Si notre vie change, c'est
possible que je fasse des poèmes joyeux. Les poèmes sur
la paix viendront quand nous aurons une réelle paix. Quand chacun
regagnera sa région et que nous trouverons ce que nous désirons.
Si Dieu le veut. Quand la vie changera et que nous serons mieux qu'avant,
nos poèmes seront inscrits dans l'histoire.
Son : chanson d'amour
COMMENTATEUR :
Partout où je suis allé, dit cette chanson
somalienne, que ce soit en Afrique, en Angleterre ou en France, je n'ai
jamais vu une beauté comparable à la tienne.
Je suis sûr que tu es unique en Afrique.
Quand je te vois, les larmes emplissent mes yeux, et mon coeur, plein
d'amour, se fissure comme un miroir.
Son : chanson d'amour
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