Le mouton et la radio
Son : Vent Au centre du Niger, juste au sud du Sahara, il y a
une immense région où, neuf mois sur douze, il ne tombe
pas une goutte de pluie. Son : Vent Au premier coup d’oeil, on jurerait qu’il n’y a rien.
Son : Vent + Animaux au loin (moutons, chèvres, vaches) + Pilons à mil Rencontrer, ici, des êtres humains, fait une
impression étrange. Son : Pilons + animaux Entre eux, les Bororos se surnomment les "oiseaux
de la brousse". Son : Pilons à mil, vache qu’on traie.
Le soleil se lève et la famille prépare
le premier repas de la journée. Son : Thé qu’on verse Sur son visage ridé et dans ses mains pleines
de corne, on voit que Baléri mène une vie très dure.
Baléri (traduction) : "Ce que nous aimons dans la brousse, c’est qu’elle fait vivre le pauvre. Il y trouve tout ce qu’il faut pour vivre paisiblement et faire paître ses animaux. C’est tout ce qui fait le bonheur du berger. Si un Bororo est coupé de la brousse, s’il est coupé de l’élevage, le Bororo ne sait plus qui il est. Et si l’élevage devient trop difficile, les bergers se disperseront. Parce qu’il n’y aura plus ce qui les rassemble." Son : Radio Parmi les fils de Baléri, il y en a un qui n’est
pas tout-à-fait comme les autres. Son : Radio Nialaoudo : "Je m'appelle Nialaoudo Baléri. Personnellement, j'ai un mouton. J'ai (j’avais) beaucoup de moutons mais malheureusement, je les ai vendus à cause de l'école..." Nialaoudo a fait une chose presque impensable pour
un nomade. Nialaoudo : "J'ai resté 13 ans. J'ai appris deux langues encore : le français, l'anglais, même le haoussa j'ai appris ça ici, à l'école. Il y a les mathématiques, la grammaire, la géométrie... oui les mathématiques et la géométrie." Nialaoudo n’est pas très doué pour la
géométrie. Loin de là. Nialaoudo : De temps à autre, son père, Baléri,
reçoit la visite d’un vieil ami de la famille. Oumarou : "Ils n'ont pas le même sens de la vie. Même si les Occidentaux ne sont pas indifférents à la qualité de la vie, ils ont pour objectif fondamental la production, la rentabilité. Tandis qu'ici, même s'ils ne sont pas étrangers à la production et à la rentabilité, l'objectif premier, l'objectif fondamental, c'est la qualité des relations humaines, c'est la qualité de la vie et non pas la richesse purement matérielle." Malgré toutes ses années en brousse,
aucun nomade n’a choisi de suivre Oumarou dans sa religion. Oumarou : "Tout est fonction de la beauté : des bêtes qui sont belles... ils mettent un grand souci pour leur faciès au niveau de la rencontre pour être beaux eux-mêmes. L'objectif de la beauté, ça c'est quelque chose qui souvent, nous, nous dépasse, parce que c'est pas rentable. Une vache qui a de belles cornes... c'est beau une vache qui a de belles cornes. Moi je leur dis souvent : 'Il vaut mieux regarder la mamelle pour voir s'il y a beaucoup de lait'. Ils en rigolent ! C'est le cas typique de deux objectifs différents." C’est Oumarou qui a persuadé Baléri d’envoyer
son fils à l’école. Nialaoudo : Pour vivre en ville, loin de sa famille, Nialaoudo
avait besoin d’argent. Son : Mouton qui bêle... Nialaoudo : "- J'ai vendu 13 moutons à
cause de l'école seulement. Chaque fois que je quitte la maison,
il faut vendre un mouton pour partir avec de l'argent pour acheter les
habits et un peu de nourriture. Son : Mouton qui bêle + Vent ( En route vers le puits avec le troupeau ) Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî...
Yahe he heuîî yahe...") + beuglements Quand elles entendent ceci, les vaches des Bororos
savent ce que ça signifie. Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî... Yahe he heuîî yahe...") + beuglements Une à une, elles se regroupent lentement, en
rangs serrés, derrière Nialaoudo et ses frères. Son : Chant de berger accompagnant la marche au
puits (+ bruits de pas dans la brousse) Nialaoudo aime bien la géométrie... Nialaoudo : "On a à peu près 50 vaches. Bon, les Bororodjis ce sont des vaches tout noir. Ils sont noir et encore ils ont de longues cornes. Et encore il marche très bien. (Si il marche,) tu le regardes, même toi tu es très content. Bon elles sont plus belles parce qu'aujourd'hui elles sont rares. L'origine des Peuls, c'est les Bororodjis. C'est ça l'origine des (...) peuls, c'est les Bororodjis." Les bergers avancent d’un pas décidé,
les mains appuyées sur leur bâton placé en travers
des épaules. Son : Vaches + Pas dans la brousse Sous leurs pieds, le sol est sec et pauvre, la végétation
est rare. Son : Vaches + Pas dans la brousse Il y a quinze ans, ici, il y a eu une sécheresse
terrible. Son : Vaches + Pas dans la brousse Oumarou
s’en souvient comme si c’était hier. Son : Youyous Il y a quelques années, dans un village du sud,
une bagarre, comme il y en a des centaines chaque année au Niger,
a tourné au massacre. Son : Youyous + grincements de poulie + âne ( Au puits Oroji ) Au puits Oroji, celui que la famille de Nialaoudo fréquente
en cette période de l’année, il y a encore juste assez d’eau.
Son : Grincements de poulie et âne Pour Baléri, le principal danger qui menace
les Bororos aujourd’hui, ce n’est pas la sécheresse. Baléri (traduction) Son : Eau qu’on verse dans l’abreuvoir + vaches Pendant cinq ans, des rebelles touaregs et l’armée
nigérienne se sont battus dans le nord du Niger. Baléri (traduction) Son : Flûte peule Menessaoua Abdoua : "Baléri... (je l’ai écouté,) il ne fait que se plaindre, que se plaindre. Et on dirait qu’il est un peu... c’est du fatalisme, si on peut le dire comme ça !" Menessaoua Abdoua s’occupe de Finatawa, la plus importante
association d’éleveurs au Niger. Menessaoua Abdoua : "Vous allez interviewer 1000 Bororos ou 1000 Peuls en général, ils vont vous parler de ces mêmes problèmes. Ils ont le choix : soit ils quittent la zone qu’ils aiment bien, là où ils sont nés et leurs parents et leurs grands-parents sont nés, ou ils restent et cherchent comment se défendre. C’est le choix." Pour se protéger contre les voleurs, les Bororos
devraient pouvoir compter sur les militaires. Menessaoua Abdoua : "- Je sais qu’ils sont en
train de s’organiser. Je sais qu’ils vont trouver leurs propres solutions.
Parce que, quand on est très coincé, souvent, on est obligé
de trouver une solution, une issue de secours. Il y en a qui ont des armes.
Mais comme l’administration ici au Niger c’est interdit de porter une
arme sans ... l’autorisation, c’est difficile, donc ils sont en train
de cacher leurs armes. Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî... Yahe he heuîî yahe...") + beuglements ( Retour du puits ) Alain Joseph : "Cette rébellion a eu un impact très fort sur l’économie et la structure de la société. Aucun projet de développement ne voulait investir dans la région à cause de l’insécurité." Sur le chemin du retour, Nialaoudo et ses frères
croisent parfois un étranger qui ne parle pas leur langue. Alain Joseph : "Un projet comme le projet Prozopas c’est un projet qui est destiné à créer l’interface entre l’aspect traditionnel, le refus du changement et au contraire (...) le changement. Permettre à ces sociétés-là de comprendre le changement (...) et le côté inéluctable du changement." Alain Joseph travaille pour la Communauté européenne dans un grand projet qui a pour but de changer la vie de 250 000 nomades peuls, touaregs et arabes. Alain Joseph : "- C’est de les aider... dans la
mesure où ils veulent se... sédentariser, les aider à
se sédentariser. Ca veut dire des écoles, ça veut
dire des dispensaires de santé publique, ça veut dire des
points d’eau modernes avec de l’eau potable, des choses comme ça.
Les Bororos se moquent des frontières et des
gouvernements. Alain Joseph : "Le monde peul, le monde nomade, touareg également, n’ont aucune trésorerie ! Ils n’ont jamais cent francs en poche. Ils ont des milliers de têtes de bétail mais ils n’ont jamais 100 francs en poche. Et s’ils veulent survivre dans la zone pastorale, ça veut dire maîtriser les termes de l’échange." Les Bororos vendent et achètent très
peu de choses. Menessaoua Abdoua : "C’est que... les éleveurs, on va essayer de sensibiliser pour qu’ils comprennent que c’est pas parce qu’on est en ville qu’on perd sa culture ou ses traditions." Comme les Bororos, Menessaoua Abdoua est un Peul. Menessaoua Abdoua : "Peut-être il y a certains Peuls maintenant qui sont encore des nomades. Mais ailleurs, ils sont semi-nomades. En Mauritanie, au Sénégal, au Burkina, au Mali. Et ils ont compris : ils n’ont ni perdu leur culture, la langue est là, l’accoutrement est là, tout est là ! Rien n’a changé ! Mais eux, ici, ils ont trop peur. Parce que pour eux dès qu’un Peul vient en ville, il est transformé. Il n’est plus lui. Donc pour eux, c’est ça qui explique le refus d’envoyer les enfants à l’école." Alain Joseph : "Le grand nomadisme, je crois, est terminé. Les Peuls seront sans doute les derniers récalcitrants, les Gitans en quelque sorte de l’Afrique. Ils vont beaucoup souffrir..." Son : Flûte peule + Pilons à mil + Moutons et Chèvres ( Au campement ) Une partie de la famille de Baléri n’est pas
au campement. Baléri (traduction) : "Elle est partie en exode pour chercher de quoi nourrir ses enfants. Il n’y a pas assez d’animaux et je n’ai pas de quoi les nourrir. Elle est partie au sud à l’extérieur du pays." Les femmes de sa génération font toutes la même chose. Elles sont à la recherche de quoi nourrir les familles. Elles vendent les médicaments traditionnels. Alain Joseph : "Beaucoup... de membres de la société vont vendre leur force de travail dans les villes pendant une certaine période pour gagner de l’argent. Et cet argent revient au sein de la société..." Les femmes bororos qui vont en ville ne vendent pas
que des médicaments traditionnels et ne ramènent pas que
de l’argent. Alain Joseph : "A Bermo et Akadéné, qui sont des sites peuls très importants, où il y a un début effectivement de sédentarisation du monde peul, là on vit des choses très intéressantes. Les femmes peuls auraient tendance à exporter leur force de travail de péripatéticienne dans les villes et elles reviendraient donc avec des maladies... sexuelles, des MST... et elles contamineraient en quelque sorte cette poche... pastorale." Dans la région, on signale maintenant 300 cas
de syphillis. Son : Musique ou son de transition Aujourd’hui, beaucoup de choses bouleversent la vie
des Bororos. Oumarou : "L'élevage n'est pas capable de donner de quoi vivre, de quoi nourrir les campements, à tous les enfants. Si on prend l'exemple de Baléri que tu connais un peu, il a 7 ou 8 enfants, ce n'est pas possible que tous soient éleveurs. Certains le resteront mais pas tous." Alain Joseph : "- Et ces gens-là aujourd’hui
sont confrontés à ça quoi... C’est s’adapter ou mourir !
S’adapter au monde moderne ou mourir. Les Peuls vont sans doute souffrir
beaucoup parce que ce sont les... c’est l’ethnie qui est la plus rébarbative
au changement en quelque sorte. Ils sont peu adaptés. Ils ont pas
les moyens de répondre à ça. Oumarou : "Le poids de la tradition en paralyse un certain nombre parce qu’elle maintient dans une situation de passé et ne permet pas une ouverture davantage à l'avenir. On peut prendre l'exemple de la scolarisation des enfants. Beaucoup d'enfants refusent l'école parce que la tradition ne leur permet pas de marcher dans ce sens-là." Baléri voulait bien que son fils s’instruise.
Nialaoudo : "- Je pense que je ne peux plus retourner.
Maintenant j'ai pas eu le sens tellement à étudier. Oumarou : "- A quoi ça va lui servir ? Ca, personne ne peut plus répondre à la question. Parce que dans les années précédentes, quelqu'un qui sortait avec son diplôme, par exemple en troisième, était sûr d'être embauché ou de rentrer dans la fonction publique. Maintenant ce n'est plus le cas. (...) tu n'es pas sûr d'avoir un travail immédiatement. Mais si tu ne vas pas à l'école, tu es sûr de ne jamais en avoir. Après treize ans d’école, même
sans diplôme, Nialaoudo a changé. Nialaoudo : "- Un Bodaado qui connaît le français,
le haoussa, l’anglais et quelque chose là-bas, c’est pas un vrai
Bodaado. Il est civilisé, lui. Un vrai Bodaado connaît uniquement
le Peul. Il fait les couvertures avec... les peaux des moutons pour protéger
leur corps. Son : Mouton Nialaoudo : "Moi je veux rester en ville. Parce que on m'a donné à l'école à l'âge de sept ans. Et encore aujourd'hui je suis à l'âge de 18 ou 19 ans. J'ai fait beaucoup d'âge à l'école. Le nombre d'âge à l'école dépasse le nombre d'âge en brousse. J'aime la brousse mais il y a beaucoup de travail et encore aujourd'hui il vaut mieux rester en ville." Son : Flûte peule Ailleurs, tout change et s’accélère.
Alain Joseph : "La culture peule, c’est quoi ? Soyons sérieux ! Bon la culture peule c’est très chouette, je veux dire les gens sont heureux, ils s’amusent, les choses sont simples, et puis voilà ! C’est quoi la culture peule ? On a l’impression qu’ils n’ont pas réfléchi à l’avenir en quelque sorte... que... la contemplation du troupeau suffit en soi. Bon les choses sont différentes maintenant. (...) Il y a une foule de gens qui viennent en Afrique pour essayer d’apporter le bonheur et le bien... parce qu’en Europe ça se passe pas si bien que ça et qu’il y a une angoisse existentielle terrible et qu’on essaie de trouver d’autres modèles. Or, je ne vois pas un modèle plus puissant aujourd’hui que le modèle capitaliste. Et ce n’est pas en réifiant une culture oubliée qu’on va pouvoir changer les choses. L’histoire du monde a montré que les civilisations apparaissaient et disparaissaient. C’est comme ça ! Ils vont faire les frais de la mondialisation des termes de l’échange ! Les grands nomades ont tous les uns après les autres fait les frais de cela ! Tous ! Oumarou : "En Europe on est passionné... ou obsédé par les problèmes de rentabilité tandis que eux sont préoccupés uniquement de la qualité des relations humaines. C'est ce qui est prioritaire dans leur vie, plus que la production. Il faut produire pour vivre mais l'objectif dernier c'est la qualité des relations humaines. Le plus pauvre des hommes ce n'est pas celui qui n'a pas de vache, c'est celui qui n'a pas d'ami." ( Le soir, autour du feu ) Son : Grillons Le soir, après la traite, les vaches se couchent
près du feu que Baléri a allumé pour elles. Son : Radio BBC en Haoussa A la radio, par ondes courtes, les nouvelles du monde
parviennent jusqu’à Nialaoudo et ses frères. Son : Radio BBC en Haoussa + Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..." Avant d’aller dormir, les plus jeunes s’amusent dans leur coin et chantent toujours le même refrain, "Demain, j’irai au puits". Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..." Les petits Bororos ne savent pas si, demain, ils iront
encore au puits. Baléri (traduction) : "Moi je suis parmi ceux qui ne dorment pas parce que les soucis et les pensées empêchent de dormir. Il faut liquider tout cela avant de se coucher. Quand tu observes les difficultés qui sont là et qui viennent vers toi, tu ne peux pas dormir. Celui qui a beaucoup d’analyse et de réflexion ne peut pas aussi dormir. Par contre celui qui n’a pas beaucoup de choses dans la tête dort bien." Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..." Chez les Bororos, il n’y a que des jeunes. Nialaoudo : "- Qu’est-ce que tu penses, à
l’avenir, qui va arriver ? Est-ce que tous les Bodaados vont être
comme toi ? Quelque part au Niger, à la limite du Sahara,
un jeune homme rêve de faire des mathématiques et de vivre
en ville. Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au
puits..." Nialaoudo est à l’étroit sur sa planète.
Son : Mouton + Rires + Grillons |
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