Accueil Presse écrite Radio Photos Formations
Recherche dans ce siteLiensPour m'écrireQui suis-je ?English with GoogleDeutsch mit GoogleEspañol con Google

Le mouton et la radio


( Au campement le matin )

Son : Vent

Au centre du Niger, juste au sud du Sahara, il y a une immense région où, neuf mois sur douze, il ne tombe pas une goutte de pluie.
De tous les côtés, à perte de vue, c’est le même paysage.
Les dunes sont recouvertes par quelques touffes d’herbe brûlée par le soleil.
Ici et là, un arbre squelettique tient encore debout, comme par miracle.
C’est un pays tout jaune balayé par l’harmattan, le vent chaud du désert.

Son : Vent

Au premier coup d’oeil, on jurerait qu’il n’y a rien.
Et pourtant, au creux des dunes, derrière des buissons...

Son : Vent + Animaux au loin (moutons, chèvres, vaches) + Pilons à mil

Rencontrer, ici, des êtres humains, fait une impression étrange.
Ils sont une vingtaine, 13 enfants et huit adultes.
Autour d’eux, il y a des vaches, des moutons, des chèvres, un chien et quelques chameaux.
Nous sommes dans un campement Bororo, des éleveurs de la grande ethnie des Peuls.

Son : Pilons + animaux

Entre eux, les Bororos se surnomment les "oiseaux de la brousse".
Parce que ce sont des nomades.
Et, comme des oiseaux, les nomades ne se posent jamais longtemps au même endroit.
Ils passent toute leur vie à marcher.

Son : Pilons à mil, vache qu’on traie.

Le soleil se lève et la famille prépare le premier repas de la journée.
La mère traie une vache dans une calebasse.
Les filles écrasent les grains de mil avec des gros pilons pour faire "la boule", un mélange de mil et de lait.
Le patriarche, Baléri, verse le thé.  

Son : Thé qu’on verse

Sur son visage ridé et dans ses mains pleines de corne, on voit que Baléri mène une vie très dure.
Mais une vie qu’il ne changerait pour rien au monde.

Baléri (traduction) : "Ce que nous aimons dans la brousse, c’est qu’elle fait vivre le pauvre. Il y trouve tout ce qu’il faut pour vivre paisiblement et faire paître ses animaux. C’est tout ce qui fait le bonheur du berger. Si un Bororo est coupé de la brousse, s’il est coupé de l’élevage, le Bororo ne sait plus qui il est. Et si l’élevage devient trop difficile, les bergers se disperseront. Parce qu’il n’y aura plus ce qui les rassemble." 

Son : Radio

Parmi les fils de Baléri, il y en a un qui n’est pas tout-à-fait comme les autres.
Il a 18 ou 19 ans.
Il porte une longue tunique verte, un gros turban blanc...
Et il ne se sépare jamais d’une vieille radio poussiéreuse.

Son : Radio

Nialaoudo : "Je m'appelle Nialaoudo Baléri. Personnellement, j'ai un mouton. J'ai (j’avais) beaucoup de moutons mais malheureusement, je les ai vendus à cause de l'école..."

Nialaoudo a fait une chose presque impensable pour un nomade.
Il est allé à l’école, en ville, là où les gens vivent entre quatre murs, dans des maisons où on étouffe.

Nialaoudo : "J'ai resté 13 ans. J'ai appris deux langues encore : le français, l'anglais, même le haoussa j'ai appris ça ici, à l'école. Il y a les mathématiques, la grammaire, la géométrie... oui les mathématiques et la géométrie."

Nialaoudo n’est pas très doué pour la géométrie. Loin de là.
Mais c’est sa matière préférée parce que, pour lui, le défi est plus grand...
Ses frères ne le comprennent pas.
Pour eux, l’école est une perte de temps.
Ce n’est pas là qu’on apprend les choses vraiment importantes, comme seller un chameau.

Nialaoudo :
"- Qui t'a envoyé à l'école ?
- C'est mon père uniquement.
- Et pourquoi il voulait t'envoyer à l'école ?
- Pour avoir un métier. Pour lui aider encore.
- Un métier comme quoi ?
- Comme les professeurs, les ministres, le préfet ou le sous-préfet, ou le maire comme ça ou l'infirmier. Voilà la raison qui a fait qu'il m'a donné à l'école.
- Et t'es content d'être allé à l'école ?
- Très content encore.
- Pourquoi ?
- Pour chasser l'ignorance."

De temps à autre, son père, Baléri, reçoit la visite d’un vieil ami de la famille.
Depuis 25 ans, Jean-Marc Cornier vit dans une petite baraque construite près d’un puits.
Les Bororos n’ont jamais bien compris pourquoi ce Blanc est seul.
Il leur a expliqué que sa religion ne lui permet pas d’avoir de femme.
Pour eux, c’est difficile à croire.
Mais ils l’ont quand même adopté et l’ont baptisé d’un nom peul.
Chez les Bororos, ce missionnaire s’appelle "Oumarou".

Oumarou : "Ils n'ont pas le même sens de la vie. Même si les Occidentaux ne sont pas indifférents à la qualité de la vie, ils ont pour objectif fondamental la production, la rentabilité. Tandis qu'ici, même s'ils ne sont pas étrangers à la production et à la rentabilité, l'objectif premier, l'objectif fondamental, c'est la qualité des relations humaines, c'est la qualité de la vie et non pas la richesse purement matérielle."

Malgré toutes ses années en brousse, aucun nomade n’a choisi de suivre Oumarou dans sa religion.
Et il n’en éprouve aucune gêne...
En fait, c’est lui-même qui a été conquis.

Oumarou : "Tout est fonction de la beauté : des bêtes qui sont belles... ils mettent un grand souci pour leur faciès au niveau de la rencontre pour être beaux eux-mêmes. L'objectif de la beauté, ça c'est quelque chose qui souvent, nous, nous dépasse, parce que c'est pas rentable. Une vache qui a de belles cornes... c'est beau une vache qui a de belles cornes. Moi je leur dis souvent : 'Il vaut mieux regarder la mamelle pour voir s'il y a beaucoup de lait'. Ils en rigolent ! C'est le cas typique de deux objectifs différents."

C’est Oumarou qui a persuadé Baléri d’envoyer son fils à l’école.
Cette expérience, Nialaoudo l’a payée très cher.
Au début, les autres élèves se sont bien moqués de ce drôle d’oiseau sorti de la brousse.

Nialaoudo :
"- Lorsqu'on nous a donnés, il y a les autres qui disent que on nous a vendus. On nous a vendus comme des vaches.
- C'est vrai qu'on t'a vendu ?
- Non. C'est eux qui disent ça. Non on ne m'a pas vendu parce que je suis ici."

Pour vivre en ville, loin de sa famille, Nialaoudo avait besoin d’argent.
Et il a fait un sacrifice énorme.
Il a utilisé sa seule richesse, ce qui est la raison de vivre des Bororos, ce qui devait lui assurer son prestige et sa liberté.
Pour aller à l’école, Nialaoudo a vendu son troupeau.
Aujourd’hui, tout ce qui lui reste, mis à part sa radio, c’est une petite bête blanche et brune, un peu chétive...

Son : Mouton qui bêle...

Nialaoudo : "- J'ai vendu 13 moutons à cause de l'école seulement. Chaque fois que je quitte la maison, il faut vendre un mouton pour partir avec de l'argent pour acheter les habits et un peu de nourriture.
- Alors maintenant il te reste qu'un mouton ?
- Un mouton, oui.
- Est-ce que c'est suffisant ?
- Ah c'est insuffisant. Même moi je connais parce que j'ai beaucoup de soucis de ça. (...)
- Tu penses beaucoup ?
- Je pense beaucoup parce que je n'ai rien maintenant, pas quelque chose à vendre pour acheter les habits ou bien quelque chose de petit même. UN mouton : si je le vends, c'est fini !..."

Son : Mouton qui bêle + Vent

( En route vers le puits avec le troupeau )

Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî... Yahe he heuîî yahe...") + beuglements

Quand elles entendent ceci, les vaches des Bororos savent ce que ça signifie.
C’est le moment qu’elles attendent depuis deux jours...

Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî... Yahe he heuîî yahe...") + beuglements

Une à une, elles se regroupent lentement, en rangs serrés, derrière Nialaoudo et ses frères.
Elles ont soif et c’est l’heure d’aller boire.

Son : Chant de berger accompagnant la marche au puits (+ bruits de pas dans la brousse)

Nialaoudo aime bien la géométrie...
Mais demandez-lui de parler des vaches, celles qu’il garde avec ses frères, et là, son coeur s’emballe.

Nialaoudo : "On a à peu près 50 vaches. Bon, les Bororodjis ce sont des vaches tout noir. Ils sont noir et encore ils ont de longues cornes. Et encore il marche très bien. (Si il marche,) tu le regardes, même toi tu es très content. Bon elles sont plus belles parce qu'aujourd'hui elles sont rares. L'origine des Peuls, c'est les Bororodjis. C'est ça l'origine des (...) peuls, c'est les Bororodjis."

Les bergers avancent d’un pas décidé, les mains appuyées sur leur bâton placé en travers des épaules.
Pour aller au puits, ils font, tous les jours, des kilomètres en plein soleil.

Son : Vaches + Pas dans la brousse

Sous leurs pieds, le sol est sec et pauvre, la végétation est rare.
On se demande de quoi les animaux peuvent bien se nourrir.

Son : Vaches + Pas dans la brousse

Il y a quinze ans, ici, il y a eu une sécheresse terrible.
Pendant un an, il n’a presque pas plu.
Il n’y avait plus rien à manger et à boire.
La plupart des vaches sont mortes de faim et de soif.
Les hommes mangeaient les feuilles des arbres.
Certains sont devenus fous.
D’autres ont vendu leurs troupeaux pour partir en ville.

Son : Vaches + Pas dans la brousse

Oumarou s’en souvient comme si c’était hier.
Aujourd’hui encore, les conséquences sur la végétation restent visibles.
Oumarou
Les gens sont les premiers à dire qu'il y a une grande détérioration de la brousse au niveau quantité et au niveau qualité. Je crois que c'est l'an dernier que j'ai fait une espèce d'inventaire avec les vieux où il ne reste actuellement plus que 3 espèces encore rencontrables alors qu'il y a 15 ans il y en avait encore une vingtaine, une trentaine.
Il n’y a pas que la sécheresse.
En 25 ans, depuis qu’Oumarou vit ici, la population du Niger a doublé.
C’est un coup dur pour les nomades.
Eux aussi sont de plus en plus nombreux.
Et comme il y a très peu d’eau et d’herbe, il n’y en a plus assez pour tout le monde.
Ca peut paraître paradoxal, mais dans cette immense région où on croise peu de gens, les nomades sont maintenant à l’étroit.
Oumarou
Il y a de plus en plus de nomades dans ce sens qu'il y a, comme partout en Afrique, surtout au Niger, une explosion démographique. Mais il y a aussi le fait que la brousse n'est pas entretenue. C'est une civilisation de cueillette où on prend ce que la brousse apporte mais on ne lui rend rien. Il faudrait passer d'une civilisation de cueillette à une civilisation de production, même au niveau de l'élevage.
Sur ces terres arides, la concurrence pour l'eau et la nourriture est féroce.
Parce qu’il y a, aussi, de plus en plus d’agriculteurs.
Au sud, ils grignotent toujours un peu plus les terres utilisées jusqu’ici par les nomades et ils récupèrent les puits pour irriguer leurs terres.

Son : Youyous

Il y a quelques années, dans un village du sud, une bagarre, comme il y en a des centaines chaque année au Niger, a tourné au massacre.
Les vaches des Peuls avaient piétiné les terres des Haoussas.
Dans la bataille qui a suivi, deux agriculteurs sont morts.
Pour les venger, des centaines de paysans sont partis en guerre contre les bergers peuls.
Dans le village de Toda, ils ont trouvé les femmes et les enfants peuls réfugiés dans une case et ils y ont mis le feu.
En tout, cent-deux sont morts asphyxiés, brûlés vifs, tués par balles ou au couteau.

Son : Youyous + grincements de poulie + âne

( Au puits Oroji )

Au puits Oroji, celui que la famille de Nialaoudo fréquente en cette période de l’année, il y a encore juste assez d’eau.
Une eau saumâtre qu’il faut puiser à 90 mètres avec des ânes et un système de poulies.

Son : Grincements de poulie et âne

Pour Baléri, le principal danger qui menace les Bororos aujourd’hui, ce n’est pas la sécheresse.
C’est ceux qu’on appelle "les hommes bleus" parce que leurs turbans colorés à l’indigo déteignent sur leur visage.

Baléri (traduction)
Autrefois, même s’il n’y avait pas suffisamment d’animaux, au moins la population vivait en paix. Aujourd’hui il n’y a pas la paix. Les Touaregs volent nos animaux.  Ceux qui ont des fusils ne font que voler. Regarde autour de toi. Le cri de détresse du berger est le même pour tous. Aujourd’hui, tous ont peur de vivre en brousse. Tous les bergers ont peur, même pour conduire leurs chèvres au pâturage. C’est à cause des Touaregs que tout se passe ainsi. Ils ont des armes. Et les Bororos n’en ont pas beaucoup.

Son : Eau qu’on verse dans l’abreuvoir + vaches

Pendant cinq ans, des rebelles touaregs et l’armée nigérienne se sont battus dans le nord du Niger.
Depuis 1996, cette rébellion est officiellement terminée.
Mais les armes, elles, sont toujours dans la brousse.
Et les vols de véhicules et de bétail sont devenus le gagne-pain de ceux qui  détiennent ces armes.
Oumarou et Baléri, comme bien d’autres, en ont été victimes.

Baléri (traduction)
Oumarou réparait le puits quand les Touaregs sont venus à chameaux. On les a regardés. On s’attendait à les reconnaître, on se préparait à les saluer, parce qu’il y a des amitiés entre nous... Et puis ils ont levé leur fusil dans notre direction. Ils étaient deux. L’un avait un fusil et l’autre une grenade. Aucun de nous n’était armé. On ne pouvait rien faire. Ils nous ont rassemblés et nous ont ligotés, Oumarou et moi. Ils nous ont jetés dans la voiture et ils ont démarré. Ils nous ont interdit de regarder dehors. Et ils nous ont emmenés à plus de 50 kilomètres. Là-bas, ils nous ont fait descendre dans la nuit. Nous n’avions ni chaussures, ni turban. On a passé toute la nuit et toute la journée à marcher. Et puis nous sommes rentrés.

Son : Flûte peule

Menessaoua Abdoua : "Baléri... (je l’ai écouté,) il ne fait que se plaindre, que se plaindre. Et on dirait qu’il est un peu... c’est du fatalisme, si on peut le dire comme ça !"

Menessaoua Abdoua s’occupe de Finatawa, la plus importante association d’éleveurs au Niger.
Il connaît bien la région et les problèmes des Bororos.

Menessaoua Abdoua : "Vous allez interviewer 1000 Bororos ou 1000 Peuls en général, ils vont vous parler de ces mêmes problèmes. Ils ont le choix : soit ils quittent la zone qu’ils aiment bien, là où ils sont nés et leurs parents et leurs grands-parents sont nés, ou ils restent et cherchent comment se défendre. C’est le choix."

Pour se protéger contre les voleurs, les Bororos devraient pouvoir compter sur les militaires.
Il y en a bien quelques-uns dans un village, à une quizaine de kilomètres d’ici.
Mais depuis qu’ils ont été attaqués au lance-roquettes par des bandits, il y a deux ans, ils restent dans leur caserne.
Même s’ils voulaient intervenir, ils ont tellement peu de moyens qu’ils n’ont même pas d’argent pour mettre de l’essence dans leur vieux tacot.
C’est pour cette raison que Menessaoua Abdoua pense que les Bororos doivent se faire justice eux-mêmes.

Menessaoua Abdoua : "- Je sais qu’ils sont en train de s’organiser. Je sais qu’ils vont trouver leurs propres solutions. Parce que, quand on est très coincé, souvent, on est obligé de trouver une solution, une issue de secours. Il y en a qui ont des armes. Mais comme l’administration ici au Niger c’est interdit de porter une arme sans ... l’autorisation, c’est difficile, donc ils sont en train de cacher leurs armes.
- Donc c’est une petite guerre qui se prépare ?
- Je ne pense pas. C’est une défense peut-être qui se prépare.
- Oui mais une défense peut emmener une riposte et c’est comme ça que ça commence...
- En tous cas maintenant c’est aux Touaregs de voir s’ils continuent en tous les cas les autres vont se défendre. C’est l’auto-défense. Parce que je suis certain qu’ils vont pas rester les bras croisés."

Son : Appel des vaches ("Heuîî... Heuîî... Yahe he heuîî yahe...") + beuglements

( Retour du puits )

Alain Joseph : "Cette rébellion a eu un impact très fort sur l’économie et la structure de la société. Aucun projet de développement ne voulait investir dans la région à cause de l’insécurité."

Sur le chemin du retour, Nialaoudo et ses frères croisent parfois un étranger qui ne parle pas leur langue.
Alain Joseph est hydrogéologue.
C’est un spécialiste des eaux souterraines.
Il creuse des puits mais son travail va beaucoup plus loin.

Alain Joseph : "Un projet comme le projet Prozopas c’est un projet qui est destiné à créer l’interface entre l’aspect traditionnel, le refus du changement et au contraire (...) le changement. Permettre à ces sociétés-là de comprendre le changement (...) et le côté inéluctable du changement."

Alain Joseph travaille pour la Communauté européenne dans un grand projet qui a pour but de changer la vie de 250 000 nomades peuls, touaregs et arabes.

Alain Joseph : "- C’est de les aider... dans la mesure où ils veulent se... sédentariser, les aider à se sédentariser. Ca veut dire des écoles, ça veut dire des dispensaires de santé publique, ça veut dire des points d’eau modernes avec de l’eau potable, des choses comme ça.
- Donc on ne peut pas les aider à rester tout simplement nomades...
- Non. C’est quasiment impossible. C’est inéluctable. On ne peut plus maintenant errer dans ces grandes zones-là parce que les frontières sont là, parce que, de plus en plus, les Etats veulent affirmer leur hégémonie en quelque sorte... et que, de plus en plus, le climat n’est pas favorable à ce genre d’économie."

Les Bororos se moquent des frontières et des gouvernements.
Ils dérangent parce qu’ils vivent en marge de la société.
Parce qu’ils vivent simplement de ce qu’ils trouvent dans la nature.

Alain Joseph : "Le monde peul, le monde nomade, touareg également, n’ont aucune trésorerie ! Ils n’ont jamais cent francs en poche. Ils ont des milliers de têtes de bétail mais ils n’ont jamais 100 francs en poche. Et s’ils veulent survivre dans la zone pastorale, ça veut dire maîtriser les termes de l’échange."

Les Bororos vendent et achètent très peu de choses.
Traditionnellement, ils vivent du troc.
Ils ne connaissent presque pas l’argent.
Les autres ethnies adorent faire des affaires avec eux parce qu’ils ne savent pas marchander.
On leur dit un prix et ils l’acceptent sans discuter...

Menessaoua Abdoua : "C’est que... les éleveurs, on va essayer de sensibiliser pour qu’ils comprennent que c’est pas parce qu’on est en ville qu’on perd sa culture ou ses traditions."

Comme les Bororos, Menessaoua Abdoua est un Peul.
Mais lui, il vit en ville.
C’est un consommateur sédentaire.

Menessaoua Abdoua : "Peut-être il y a certains Peuls maintenant qui sont encore des nomades. Mais ailleurs, ils sont semi-nomades. En Mauritanie, au Sénégal, au Burkina, au Mali. Et ils ont compris : ils n’ont ni perdu leur culture, la langue est là, l’accoutrement est là, tout est là ! Rien n’a changé ! Mais eux, ici, ils ont trop peur. Parce que pour eux dès qu’un Peul vient en ville, il est transformé. Il n’est plus lui. Donc pour eux, c’est ça qui explique le refus d’envoyer les enfants à l’école."

Alain Joseph : "Le grand nomadisme, je crois, est terminé. Les Peuls seront sans doute les derniers récalcitrants, les Gitans en quelque sorte de l’Afrique. Ils vont beaucoup souffrir..."

Son : Flûte peule + Pilons à mil + Moutons et Chèvres

( Au campement )

Une partie de la famille de Baléri n’est pas au campement. 
Nous sommes en saison sèche et, comme chaque année, une de ses deux femmes est partie en ville.

Baléri (traduction) : "Elle est partie en exode pour chercher de quoi nourrir ses enfants. Il n’y a pas assez d’animaux et je n’ai pas de quoi les nourrir. Elle est partie au sud à l’extérieur du pays."

Les femmes de sa génération font toutes la même chose. Elles sont à la recherche de quoi nourrir les familles. Elles vendent les médicaments traditionnels.

Alain Joseph : "Beaucoup... de membres de la société vont vendre leur force de travail dans les villes pendant une certaine période pour gagner de l’argent. Et cet argent revient au sein de la société..."

Les femmes bororos qui vont en ville ne vendent pas que des médicaments traditionnels et ne ramènent pas que de l’argent.
Certaines se prostituent et reviennent avec des maladies vénériennes.

Alain Joseph : "A Bermo et Akadéné, qui sont des sites peuls très importants, où il y a un début effectivement de sédentarisation du monde peul, là on vit des choses très intéressantes. Les femmes peuls auraient tendance à exporter leur force de travail de péripatéticienne  dans les villes et elles reviendraient donc avec des maladies... sexuelles, des MST... et elles contamineraient en quelque sorte cette poche... pastorale."

Dans la région, on signale maintenant 300 cas de syphillis.
D’après une infirmière qui y travaille, le sida a fait son apparition chez les nomades, même si aucune enquête ne l’a confirmé.
Les Bororos ne savent pas ce qui leur arrive.
Et le mal se propage.

Son : Musique ou son de transition

Aujourd’hui, beaucoup de choses bouleversent la vie des Bororos.
La maladie bien sûr, mais aussi la surpopulation, la sécheresse, l’insécurité et l’économie de marché.

Oumarou : "L'élevage n'est pas capable de donner de quoi vivre, de quoi nourrir les campements, à tous les enfants. Si on prend l'exemple de Baléri que tu connais un peu, il a 7 ou 8 enfants, ce n'est pas possible que tous soient éleveurs. Certains le resteront mais pas tous."

Alain Joseph : "- Et ces gens-là aujourd’hui sont confrontés à ça quoi... C’est s’adapter ou mourir ! S’adapter au monde moderne ou mourir. Les Peuls vont sans doute souffrir beaucoup parce que ce sont les... c’est l’ethnie qui est la plus rébarbative au changement en quelque sorte. Ils sont peu adaptés. Ils ont pas les moyens de répondre à ça.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils n’ont pas été à l’école pour commencer. Parce qu’ils ont du mal à conceptualiser les changements."

Oumarou : "Le poids de la tradition en paralyse un certain nombre parce qu’elle maintient dans une situation de passé et ne permet pas une ouverture davantage à l'avenir. On peut prendre l'exemple de la scolarisation des enfants. Beaucoup d'enfants refusent l'école parce que la tradition ne leur permet pas de marcher dans ce sens-là."

Baléri voulait bien que son fils s’instruise.
Mais Nialaoudo a été rattrapé, lui aussi, par la tradition.
L’an dernier, il était en âge de se marier...
Une année avant d’obtenir son diplôme, il a dû abandonner l’école.

Nialaoudo : "- Je pense que je ne peux plus retourner. Maintenant j'ai pas eu le sens tellement à étudier.
- Et pourquoi ? Qu'est-ce qui est arrivé ?
- Moi ? C'est la tradition qui m'a arrivé. (rire) C'est la tradition. Je travaille bien. Mais maintenant j'ai une femme encore. Et encore c'est pas la peine de partir avec une femme à l'école. C’est honteux ça."

Oumarou : "- A quoi ça va lui servir ? Ca, personne ne peut plus répondre à la question. Parce que dans les années précédentes, quelqu'un qui sortait avec son diplôme, par exemple en troisième, était sûr d'être embauché ou de rentrer dans la fonction publique. Maintenant ce n'est plus le cas. (...) tu n'es pas sûr d'avoir un travail immédiatement. Mais si tu ne vas pas à l'école, tu es sûr de ne jamais en avoir.

Après treize ans d’école, même sans diplôme, Nialaoudo a changé.
Il n’est plus un Bororo ou, comme on dit aussi, un "Bodaado" comme les autres.
Et il le sait.

Nialaoudo : "- Un Bodaado qui connaît le français, le haoussa, l’anglais et quelque chose là-bas, c’est pas un vrai Bodaado. Il est civilisé, lui. Un vrai Bodaado connaît uniquement le Peul. Il fait les couvertures avec... les peaux des moutons pour protéger leur corps.
- Donc, toi, t’es un Bodaado civilisé ?
- Oui. Je suis un Bodaado civilisé. Oui. C’est vrai."

Son : Mouton

Nialaoudo : "Moi je veux rester en ville. Parce que on m'a donné à l'école à l'âge de sept ans. Et encore aujourd'hui je suis à l'âge de 18 ou 19 ans. J'ai fait beaucoup d'âge à l'école. Le nombre d'âge à l'école dépasse le nombre d'âge en brousse. J'aime la brousse mais il y a beaucoup de travail et encore aujourd'hui il vaut mieux rester en ville."

Son : Flûte peule

Ailleurs, tout change et s’accélère. 
Les Bororos, eux, ne sont jamais pressés.
Ils ont le temps et l’espace pour eux.
La vie suit un autre rythme : les souffrances de la saison sèche, le repos et l’abondance de la saison des pluies. 
C’est une autre conception du monde, un autre ordre de priorités.

Alain Joseph : "La culture peule, c’est quoi ? Soyons sérieux ! Bon la culture peule c’est très chouette, je veux dire les gens sont heureux, ils s’amusent, les choses sont simples, et puis voilà ! C’est quoi la culture peule ? On a l’impression qu’ils n’ont pas réfléchi à l’avenir en quelque sorte... que... la contemplation du troupeau suffit en soi. Bon les choses sont différentes maintenant. (...) Il y a une foule de gens qui viennent en Afrique pour essayer d’apporter le bonheur et le bien... parce qu’en Europe ça se passe pas si bien que ça et qu’il y a une angoisse existentielle terrible et qu’on essaie de trouver d’autres modèles. Or, je ne vois pas un modèle plus puissant aujourd’hui que le modèle capitaliste. Et ce n’est pas en réifiant une culture oubliée qu’on va pouvoir changer les choses. L’histoire du monde  a montré que les civilisations apparaissaient et disparaissaient. C’est comme ça ! Ils vont faire les frais de la mondialisation des termes de l’échange ! Les grands nomades ont tous les uns après les autres fait les frais de cela ! Tous !

Oumarou : "En Europe on est passionné... ou obsédé par les problèmes de rentabilité tandis que eux sont préoccupés uniquement de la qualité des relations humaines. C'est ce qui est prioritaire dans leur vie, plus que la production. Il faut produire pour vivre mais l'objectif dernier c'est la qualité des relations humaines. Le plus pauvre des hommes ce n'est pas celui qui n'a pas de vache, c'est celui qui n'a pas d'ami."

( Le soir, autour du feu )

Son : Grillons

Le soir, après la traite, les vaches se couchent près du feu que Baléri a allumé pour elles.
Il les regarde, l'une après l'autre, et il les admire.

Son : Radio BBC en Haoussa

A la radio, par ondes courtes, les nouvelles du monde parviennent jusqu’à Nialaoudo et ses frères.
Un monde qui se rapproche et qui les fascine.

Son : Radio BBC en Haoussa + Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..."

Avant d’aller dormir, les plus jeunes s’amusent dans leur coin et chantent toujours le même refrain, "Demain, j’irai au puits".

Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..."

Les petits Bororos ne savent pas si, demain, ils iront encore au puits.
Et Baléri non plus.

Baléri (traduction) : "Moi je suis parmi ceux qui ne dorment pas parce que les soucis et les pensées  empêchent de dormir. Il faut liquider tout cela avant de se coucher. Quand tu observes les difficultés qui sont là et qui viennent vers toi, tu ne peux pas dormir. Celui qui a beaucoup d’analyse et de réflexion ne peut pas aussi dormir. Par contre celui qui n’a pas beaucoup de choses dans la tête dort bien."

Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..."

Chez les Bororos, il n’y a que des jeunes.
La vie est si dure qu’à 45 ans environ, Baléri est considéré comme un vieillard.
Quand il y pense, Nialaoudo dort mal, lui aussi.

Nialaoudo : "- Qu’est-ce que tu penses, à l’avenir, qui va arriver ? Est-ce que tous les Bodaados vont être comme toi ?
- C’est ça que moi je veux. Tous les Bodaados deviennent comme moi. Comprendre le haoussa, le français et l’anglais et tout. C’est ça que moi je veux. Il faut qu’ils donnent leurs enfants à l’école... pour apprendre à lire et à écrire. C’est ça que moi je veux. Je ne veux pas que tous les Bodaados partent seulement en brousse comme des oiseaux.

Quelque part au Niger, à la limite du Sahara, un jeune homme rêve de faire des mathématiques et de vivre en ville.
Son univers, qui semblait autrefois si vaste, se rétrécit comme une peau de chagrin.
Un univers maintenant peuplé de personnages étranges.
Des religieux solitaires et des hydrogéologues.
Des bandits sans scrupules et des soldats sans moyens.
Des chefs d’association qui veulent la guerre et des femmes qui meurent sans raison.

Son : Chant de fillettes "Demain j’irai au puits..."

Nialaoudo est à l’étroit sur sa planète.
Entre son mouton et sa radio, entre la tradition et la modernité, il doit choisir.
Quel que soit son choix, son avenir est incertain.
La brousse n’a plus de quoi le nourrir.
Et la ville, sans diplôme, ne lui offrira pas beaucoup mieux.
Mais Nialaoudo n’est pas le plus pauvre des hommes.
Chez les Bororos, il a encore un mouton... et des amis. 

Son : Mouton + Rires + Grillons


Accueil | Presse écrite | Radio | Photo | Formations | Perso | Liens | Email | English | Deutsch | Español | © 2003
     Chercher sur ce site:  Recherche avancée
Google