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Les dieux sont tombés sur la tête

Sectes, prophètes improvisés et nouvelles Eglises sont au centre d'une mutation spirituelle sans précédent en Afrique. Inquiétude chez les catholiques.

Dans le temple des Chrétiens célestes, la foule costumée s'égosille dans la bonne humeur. Un jeune répand avec énergie un épais nuage d'encens. Un autre, porteur d'un seau d'eau bénite, asperge abondamment la foule imperturbable. Des hommes et des femmes en transe marmonnent des conversations avec l'au-delà que des coreligionnaires attentifs s'empressent de retranscrire. D'un côté, les femmes et les jeunes filles coiffées de toques de patissier, habillées de couleurs vives. De l'autre, les garçons et les hommes en tuniques blanches.

Bienvenue à Tomégbé, petit village togolais à la frontière du Ghana. Il y a trois ans, Tomégbé comptait trois lieux de culte (catholique, évangélique et musulman). Aujourd'hui, plus d'une dizaine se disputent les âmes des villageois à coups de hauts-parleurs et de promesses d'éternité : des Eglises américaines, importées du Ghana voisin, et des Eglises nouvelles, mieux adaptées, selon certains, au contexte africain. Honoré Melessoussou est le jeune vicaire catholique de la paroisse de Tomégbé : "Avant l'avènement de la démocratie il y a trois ans, le régime ne permettait pas à ces sectes de traverser les frontières. Maintenant, elles sont partout, même dans nos stations les plus reculées. Est-ce une guerre de religion ? Ce n'est pas trop dire. Chacun veut avoir plus d'adeptes. C'est inquiétant."

La plupart des nouvelles Eglises à Tomégbé sont protestantes d'origine américaine. Leur liturgie laisse une grande place à la guérison des malades. Leur essor, souligne H. Mélessoussou, coïncide avec la dégradation des conditions économiques en Afrique. "Les gens n'ont pas les moyens d'aller à l'hôpital. Comme ils sont chrétiens, ils ne veulent pas aller non plus chez le féticheur. Alors, ils vont vers ceux qui ont une apparence chrétienne. Avec des bougies, de l'encens et de l'eau bénite, ils arrivent psychologiquement à rassurer les gens."

A Cotonou, le Dr Idohou Simon est un des chefs de la communauté des Chrétiens célestes, qui compterait des millions de fidèles en Afrique de l'Ouest. Il reconnaît que la guérison promise par les nouvelles Eglises, comme la sienne, est un des principaux facteurs qui expliquent leur popularité. "Les Africains croient aux sortilèges, aux esprits. La plupart de ceux qui viennent à nous ont des problèmes métaphysiques, des envoûtements et des maladies que la médecine occidentale n'a pas pu guérir. L'Eglise du christianisme céleste répond mieux aux aspirations des Africains qui attendent d'une religion qu'elle puisse résoudre toutes les préoccupations de l'individu."

La religion du dollar

A Gonzagueville, petit bidonville de la périphérie d'Abidjan, une soixantaine d'Eglises, de sectes et de prophètes s'entassent dans une mosaïque religieuse unique en Côte-d'Ivoire. Sous une tente made in Miami, le pasteur Adelin N'Dabien, ex-adepte du vaudou, écrit à grands traits sur un tableau noir les enseignements de W. Donald Wellman, un Américain blanc cravaté qui a fondé l'Eglise du Nazaréen. "La désobéissance produit l'agitation ! La sainteté est l'harmonie !" Le pasteur distribue les clins d'oeil complices à un parterre ébahi qui l'encourage par ses alléluias. "Il n'y a pas de compétition. Nous visons tous un même but : libérer les gens du fétichisme et gagner les âmes à Dieu. Ici, les gens sont nés dans le vaudou." Les yeux embués, le sourire aux lèvres, on ne sait pas s'il va rire ou pleurer. "C'est dans le Christ que j'ai trouvé le vrai bonheur. Même dans la pauvreté, je suis heureux."

"Ca devient un business", déplore Gian Franco Brignone, prêtre catholique depuis huit ans à Gonzagueville. "Il y a une culture économique et politique qui a tout intérêt à encourager ces gens à s'enfermer dans des religions qui poussent à la passivité, à la docilité. De grandes multinationales américaines financent les Eglises évangéliques qui récupèrent beaucoup de ces prophètes improvisés." "Ils participent à un esprit de domination, estime le sociologue abidjanais Michel Guery. Ce n'est pas conscient. C'est la religion du dollar. Sauf qu'il n'y a pas beaucoup de dollars ici. C'est un peu Big Brother, une espèce de contrôle mental de la société."

Selon M. Guery, les rapports entre le pouvoir et ces nouveaux mouvements sont de plus en plus étroits. "Il y a une reconnaissance mutuelle entre les politiciens et les nouvelles Eglises. On prie pour qu'on reste au pouvoir. En échange, le pouvoir accorde une reconnaissance à ces groupes. Chacun a besoin de l'autre pour exister." Dans certains pays africains, dit-il, il vaut mieux appartenir à une secte donnée pour faire partie du gouvernement. Comme au Cameroun, où le président Paul Biya est très attaché au mouvement de la Rose-Croix, et au Mozambique, dont le président Joaquim Chissano, un fervent adepte de la méditation transcendantale, a cédé des droits sur un quart du territoire de son pays à une société liée au sage indien Maharishi Mahesh Yogi.

Tam-tam, harmonium et latin

Pour l'abbé Melessoussou, la multiplication phénoménale des petites Eglises et des nouveaux prophètes, qui se comptent par milliers en Afrique, est la conséquence de la crise que traversent les Eglises missionnaires, incapables de se convertir à la tradition africaine. "Les rites romains sont un peu froids. Ils ne touchent pas l'âme africaine. Les sectes exploitent ces points faibles et présentent aux Africains un Dieu à leur image. Il y a plus de danses, plus de musique. Le tam-tam, ce n'est pas tout. Mais c'est déjà mieux que l'harmonium et le latin." Selon lui, le malaise dépasse les simples manifestations extérieures de la foi. "Votre langue (le français) est souvent abstraite. Comment expliquer la trinité en peu de mots ? Ici, les gens sont plus concrets, plus pratiques." Le Dr Idohou Simon voit une autre explication à la popularité du Christianisme céleste : "L'Eglise catholique a une organisation humaine très poussée, très hiérarchisée. Dans notre Eglise, tous les hommes peuvent faire la prédication." Monseigneur Robert Dosseh-Anyron, archevêque de Lomé, croit que l'apparition d'une Eglise catholique aux couleurs de l'Afrique prendra du temps. "Il faut nous laisser assimiler, digérer et régurgiter. Nous en sommes à la digestion."

Un prêtre catholique se dit confiant qu'il ne s'agit que d'une mode passagère. "Certains vont vers ces sectes seulement à cause de la maladie. Ils nous reviennent après deux ou trois mois. Ils font du tourisme spirituel." "Ceux qui passent de la religion catholique aux sectes vont nous revenir, renchérit Monseigneur Dosseh-Anyron, parce que l'Africain est très attaché à ses racines." Ces bases sont moins solides, selon lui, chez les animistes. "Ceux qui passent de l'animisme aux sectes sont irrécupérables. C'est plus inquiétant." A Tomégbé, un prêtre déplore la passivité des catholiques devant la mutation spirituelle sans précédent qui s'opère sur le continent. "L'Afrique traverse une profonde crise de l'âme, clame-t-il. Les Africains se cherchent. Et l'essor des sectes en est un symptôme."

Robert Bourgoing
1ière publication : 97


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