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Les promesses d'une radio de brousse

Alphabétisation, lutte contre la criminalité, téléphone de brousse... En Afrique, les radios rurales sont beaucoup plus que de simples radios. L'exemple, au Mali, de Radio-Kayes.

Dans la brousse malienne, près du Sénégal, dans une région pratiquement coupée du reste du pays et accessible uniquement par train, Oumar Diagouraga est une star. Quand il se présente dans un village, on joue du tam-tam, on égorge des moutons, on fait la fête. Oumar Diagouraga est l'animateur-vedette de Radio-Kayes. Casque aux oreilles et magnétophone en bandoulière, il offre son micro et son sourire désarmant aux paysans ravis de pouvoir s'exprimer et sortir de leur isolement.

Sous l'arbre à palabres de Sinthiane, un petit village peul dans l'ère de diffusion de la radio (55 kilomètres), les villageois ne tarissent pas d'éloges pour ses huit heures d'émissions quotidiennes, comme celle d'Oumar Diagouraga, "La musique du terroir". "Maintenant, nous savons où nous procurer la nourriture la moins chère et les meilleurs médicaments pour le bétail. Nous savons quand arrive le meilleur moment pour semer." La radio rurale fait aussi de l'alphabétisation en trois langues locales, dont le pulaar. "C'est grâce à Radio-Kayes que nous pouvons écrire nos noms" affirme Kamara Al Housseini, le porte-parole des villageois. Selon lui, c'est bien plus qu'une radio. C'est aussi un téléphone de brousse. "Elle nous permet de franchir les distances très rapidement, beaucoup plus rapidement que l'âne ou le chameau." Dans la zone frontalière avec le Sénégal, où il y a beaucoup de vols de bétail, la radio rurale a parfois des utilisations inattendues. "Il y a trois jours, un homme d'un village voisin a perdu son taureau. On a lancé un appel en ondes et le même jour, on a retrouvé le taureau et le voleur, qui est maintenant en prison, grâce à Radio-Kayes!"

Fyly Keïta est fier du succès de la radio qu'il dirige. "Un chef de village m'a dit qu'avant, les paysans devaient manier le sabre et faire la guerre pour se faire entendre, mais qu'aujourd'hui, sa guerre, c'est celle du micro et que Radio-Kayes est une arme démocratique. Je pense qu'elle a contribué à convaincre les paysans qu'ils ont du pouvoir."

Pourtant, dans cette région enclavée, les auditeurs se sentent aussi loin du pouvoir central qu'ils l'étaient avant Radio-Kayes. "Alpha Oumar Konaré? Nous croyons qu'il veut bien faire mais nous ne comprenons pas très bien ce qu'il fait. Nous ne savons pas si les dirigeants politiques nous écoutent. Ils s'intéressent à nous seulement durant les élections." A Sinthiane, il faudrait creuser un autre puits, il n'y a pas d'école et les sols sont pauvres. Les villageois savent qu'ils pourraient écrire à leur radio pour faire connaître leurs besoins et que leur lettre serait lue en direct. Mais ils ne l'ont jamais encore fait.

Des paysans timides

Pour préparer la venue d'Ada Cavazzani, la chambre qu'on lui réserve toujours dans les locaux de la radio a été fébrilement rangée et dépoussiérée. La présidente de l'ONG italienne GAO Coopération Internationale est venue de Rome pour examiner les graves difficultés financières auxquelles fait face la radio qu'elle a financée à ses débuts il y a sept ans. Les responsables n'ont pas réussi à convaincre les associations villageoises de prendre elles-mêmes en charge son financement, ce qui était initialement prévu.

Pour Ada Cavazzani, Radio-Kayes est un demi-succès parce qu'elle n'a pas encore contribué à l'éveil d'un esprit démocratique chez les paysans. "Elle est restée à un niveau où elle reproduit l'existence des paysans. Les gens sont contents de s'entendre mais ce n'est pas suffisant." Zacharia Bathily, un jeune auditeur kayésien, estime que les animateurs comme Oumar Diagouraga consacrent trop de temps à la musique et aux salutations. "Le fait d'entendre son nom dans un appareil fabriqué par les 'toubabs', c'est grandiose. Mais ce n'est pas ça de la radio rurale. Ils devraient faire plus de sensibilisation."

La présidente de Gao Coopération Internationale se rappelle les débuts sous la dictature militaire et les concessions qu'elle avait dû faire pour émettre. "On a dû inventer une radio qui puisse être appréciée par les paysans et en même temps tolérée par les dirigeants en place. On ne parlait ni de politique ni de religion." Le mandat de la radio n'a pas changé depuis l'avènement de la démocratie au Mali. Mais pour la coopérante italienne, là n'est pas le problème. "On a toujours fait de la politique parce qu'à partir du moment où on fait parler les paysans de leurs problèmes et de leurs préoccupations, on fait de la politique. Beaucoup mieux qu'en parlant de la démocratie en termes abstraits."

Selon elle, ce n'est peut-être qu'une question de temps avant que les paysans sortent de leur torpeur. "Radio-Kayes a servi d'abord à leur donner confiance en eux, à valoriser leur travail et leur culture. Changer des choses dans leur milieu est maintenant du ressort des associations paysannes. Ce n'est pas le rôle de la radio de pousser les gens à être militants. Elle peut accompagner des actions, mais elle ne peut pas se substituer aux associations paysannes." Elle regrette que celles-ci n'exploitent pas davantage les possibilités de Radio-Kayes. "Même si dans le privé, les paysans partagent notre point de vue, dans la réalité, ils n'aiment pas mobiliser les gens, créer des syndicats. Ils sont craintifs. Ils sont timides. C'est regrettable parce que la démocratie, ce n'est pas tant de changer le pouvoir à Bamako. C'est de changer le pouvoir à la base." Kamara Al Housseini croit, lui, que l'inaction des villageois de Sinthiane s'explique surtout par un manque de formation. "On ne peut pas être démocrate sans apprendre. On ne peut pas être démocrate sans aller à l'école."

Robert Bourgoing
1ière publication : juin 94


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