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Niger : la guerre de l'espace

Au Niger, dans une vaste région désertée par l'Etat, les éleveurs peuls sont victimes des razzias de bandits touaregs. Livrés à eux-mêmes, ces éleveurs nomades s'arment pour préparer la riposte. Un exemple parmi d'autres de l'insécurité qui gagne les campagnes africaines (publié en mai 1997).

Le soleil descend à l’horizon et la tension monte dans le camion. Lancés à toute allure sur la piste cahoteuse, ses occupants, cinq jeunes militaires surexcités, tirent des coups de semonce à l’approche des virages. Dans cette immense région du Niger, entre Dakoro et Agadez, la nuit appartient aux pillards. Tous le reconnaissent, même ces soldats qui, à cette heure tardive, sont normalement terrés dans leur petite caserne de Bermo, un puits autour duquel des nomades peuls et touaregs se sédentarisent depuis quelques années.

Aujourd’hui, la rébellion touareg est officiellement terminée. Mais l’arsenal accumulé pendant cinq ans n’a pas quitté la brousse et les vols de véhicules et de bétail sont devenus la nouvelle spécialité des détenteurs d’armes. "Interviewez mille Bororos ou mille Peuls en général, ils vous parleront tous de ce même problème !" Menessaoua Abdoua est président de Finatawa, la plus importante association d’éleveurs du Niger. Plus que le manque de points d’eau ou les conflits avec les agriculteurs, le banditisme touareg est devenu, selon lui, la principale préoccupation des éleveurs bororos. "Nous avons tellement de plaintes en ce sens. Nous, on prévient l’administration. Et l’administration demande aux populations de se cotiser pour trouver du carburant pour aller poursuivre les rebelles..." Les soldats effectuent très peu de patrouilles. Ils n’ont pas d’argent pour faire le plein de leur unique véhicule, en panne le plus souvent.

Pris en étau dans le désert.

Lorsqu’on s’aventure à l’extérieur de Bermo, dans un paysage de dunes recouvertes par une mince végétation et quelques arbres squelettiques, on le fait à ses risques et périls, prévient Baléri, un éleveur bororo. "Le cri de détresse de tous les bergers est le même : aujourd’hui, tous ont peur de vivre en brousse. Ceux qui ont des fusils ne font que voler." En saison sèche, Baléri fréquente le puits Oroji, à 15 km de là. Récemment, alors qu’il y effectuait des travaux d’entretien avec Oumarou, un missionnaire français qui vit avec les nomades de la région, celui-ci s’est fait voler son véhicule à la pointe du fusil. "Ils sont venus à chameaux. On croyait les reconnaître et on se préparait à les saluer. Au lieu de cela, ils ont levé leur fusil vers nous. L’un avait un fusil et l’autre une grenade. Ils nous ont ligotés et jetés dans la voiture. Ils nous ont dit de ne pas regarder dehors et nous ont conduits à plus de 50 km où ils nous ont laissés, en pleine nuit. Aucun de nous ne portait de chaussures ni de turban." Malgré tout, Menessaoua Abdoua considère que Baléri et Oumarou s’en sont bien sortis.

"La dernière fois, raconte-t-il, c’était à un baptême. Les Bororos étaient venus avec leurs plus beaux chameaux. Pendant la fête, des bandits armés les ont attaqués. Deux hommes ont résisté. Ils ont dit : Nous, on n’a pas peur de vous ! Sans vos armes, vous savez très bien que vous n’oseriez pas ! Si vous êtes des hommes, posez-les et venez nous affronter, vous allez voir !" Le courage des deux éleveurs récalcitrants leur aura été fatal. Ils ont été abattus sur le champ et leurs assassins sont repartis avec soixante-six chameaux.

A Bermo, l’ancienne rébellion touareg n’explique pas tout. Des facteurs démographiques et climatiques contribuent à augmenter les tensions entre Peuls et Touaregs. Ceux-ci se trouvent pris en étau entre le désert qui descend progressivement vers le sud et les agriculteurs du sud qui, chaque année, grignotent un peu plus de terres vers le nord. "Avant on déplaçait les troupeaux vers les champs, constate Baléri. Maintenant, les champs viennent à nos troupeaux..." La population du Niger a doublé en 25 ans. Là où l'espace semblait jadis illimité, renchérit le missionnaire Oumarou, les troupeaux sont maintenant à l'étroit.

"Comme partout en Afrique, il y a une explosion démographique. Il y a de moins en moins d'espace et de plus en plus de nomades." Depuis son arrivée à Bermo, il y a vingt-cinq ans, Oumarou constate également une grande détérioration de la brousse, une conséquence de la "surpopulation" et des grandes sécheresses de 1974 et 1984. "L'an dernier, j'ai fait un inventaire avec les vieux. Il ne reste plus que 3 espèces végétales importantes, donc nutritives pour le bétail, alors qu'il y a 15 ans, il y en avait encore une trentaine."

Selon l’hydrogéologue Alain Joseph, le manque de puits entraîne aussi une concurrence féroce pour l’eau. "Les Touaregs empêchent les Peuls de creuser des puits ou les font payer pour abreuver leurs animaux." A. Joseph travaille pour le Prozopas, un projet européen pour le développement de la zone pastorale située entre le Mali, le désert du Ténéré et la zone agricole au sud. "De plus en plus, à l’aube du troisième millénaire, le grand enjeu sera de savoir qui a la maîtrise de la terre et des pâturages. La richesse traditionnelle, c’est le troupeau. Or, dans ces régions-là, il y a facilement des vols de bétail pour diminuer la puissance de l’autre."

La peur de vivre en brousse.

Aussi tragique qu’elle soit, la situation de cette région du Niger n’a rien d’exceptionnel. Depuis 15 ans, la peur gagne du terrain dans les campagnes africaines. Phénomène aux multiples visages, l’insécurité isole des régions entières, freine les échanges commerciaux, le développement de l’élevage, de l’agriculture et du tourisme. Selon Réjeanne Dupuis, une missionnaire québécoise qui s’occupe du dispensaire de Bermo, elle peut même avoir un impact sur la santé des populations. "Avec l’insécurité, depuis au moins trois ans, on ne peut plus aller en brousse pour vacciner." En Casamance, la disparition de quatre touristes français en avril 1995 et les soupçons qui pèsent sur le mouvement indépendantiste MFDC ont porté un coup très dur au tourisme.

Dans certains pays, l’insécurité résulte de la pauvreté et du désengagement de l’Etat. A Madagascar par exemple, les vols de bétail et de récoltes sur pied sont devenus un sport national. Depuis 15 ans, des voleurs de bétail armés de couteaux, de fusils de chasse et même de kalachnikovs, les "dahalos", sèment la terreur parmi les éleveurs du sud et de la région des hautes terres.

Ailleurs, l’insécurité est le fruit des guerres et de leurs répercussions sur les pays voisins : circulation des armes et déplacements de populations. Au Tchad, après plusieurs années de guerre civile et de conflit avec la Libye, un nombre considérable de fusils d’assaut, de lance-roquettes et de mortiers est tombé aux mains d’une dizaine de mouvements rebelles mais aussi d’éleveurs et de coupeurs de route. Les voisins en pâtissent, en particulier le nord-Cameroun. Les coupeurs de route, ces bandits de grands chemins qui détroussent voyageurs et commerçants, sont aussi présents en Centrafrique. Les "zaraguinas" n’hésitent plus à piller des villages et à prendre des otages. Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, le rapatriement prochain de 350 000 réfugiés libériens répartis dans 400 villages est accueilli avec soulagement par les populations locales, victimes depuis plus de 7 ans d’une augmentation importante de la criminalité.

Malgré les guerres et le manque de moyens des Etats, deux phénomènes qui ne sont pas prêts de changer, des expériences sont tentées pour juguler l’insécurité dans les campagnes. Dans certaines régions de Madagascar, le gouvernement a donné les pleins pouvoirs de police aux villageois pour qu’ils contrôlent et arrêtent eux-mêmes les voleurs après enquête. Ensuite, ceux-ci sont remis aux autorités pour être jugés par un tribunal. Le problème est loin d’être réglé même si cette initiative a donné des résultats : des milliers de bêtes enlevées ont été retrouvées et remises à leurs propriétaires tandis qu’une centaine de dahalos étaient capturés et emprisonnés.

Quand les Etats ne prennent aucune initiative, les ruraux sont tentés de se faire justice eux-mêmes. Comme au Niger où, selon Menessaoua Abdoua, président de l’association d’éleveurs Finatawa, des éleveurs peuls s’arment et préparent la riposte. "Je sais qu’ils sont en train de s’organiser et de cacher des armes. C’est aux Touaregs de voir s’ils continuent. Je suis certain que les Peuls ne vont pas rester les bras croisés. Soit ils quittent la zone où ils sont nés et où leurs parents et grands-parents sont nés, soit ils restent et cherchent à se défendre. C’est le choix."

Robert Bourgoing
1ère publication : 98

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