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Madagascar : la Grande Ile à la dérive

(Ce reportage a été réalisé en 1994. Depuis ce temps, la situation économique et politique de Madagascar s'est beaucoup dégradée. Vous pouvez lire les dépêches d'actualité les plus récentes concernant la crise que traverse Madagascar. Vous pouvez aussir voir le reportage photo en cliquant sur les images.)

Reportage photo Dans la montagne de déchets, le plafond du tunnel menace de céder, les parois s'effritent. Mais Roger continue de piocher fébrilement, avec l'espoir fou de trouver un bijou égaré, vestige d'un temps où son pays était plus riche. Une chasse au trésor au fond des ordures dont il ressort avec quelques bouts de charbon de bois, une vieille semelle et des morceaux d'aluminium. Pour son butin de la journée qu'il vendra à la récupération : 25 cents canadiens, même pas de quoi nourrir sa femme et ses trois enfants. A la surface, des gamins en loques poussent des cris de joie en apercevant un camion d'ordures, fraîches celles-là. Ils se lancent à sa poursuite et disputent aux chiens et aux cochons ce qui tombe lentement de cette boîte à surprises ambulante.

A la surface, des gamins en loques poussent des cris de joie en apercevant un camion d'ordures.Ces scènes sordides sont un raccourci saisissant de la descente aux enfers que vingt ans de socialisme ont fait subir à l'économie de Madagascar. Comme Roger Rasoloharijaona, des centaines d'autres creusent des tunnels dans la décharge de Tananarive, la capitale malgache, pour atteindre les déchets d'avant le marxisme. "Il y a beaucoup de gens riches à Madagascar, explique Roger. Mais ils n'aident pas les pauvres. Le gouvernement ? On ne voit pas très bien vers où il nous dirige."

La dégringolade marxiste

L'île de Madagascar devrait être un petit paradis sur terre. Elle a un potentiel touristique extraordinaire : climat exceptionnel, paysages de carte postale, faune et flore uniques au monde. Elle possède des richesses naturelles et agricoles abondantes, une main-d'oeuvre qualifiée et bon marché. Mais avec la politique désastreuse des années Ratsiraka, le président malgache de 1976 à 1993, le rêve tourne au cauchemar.

Didier Ratsiraka, c'est le marxisme à la sauce malgache, un "marxisme croyant" qui s'inspire à la fois de la Bible et de la révolution nord-coréenne de Kim Il-sung. Sous sa gouverne, Madagascar coupe les ponts avec son passé colonial français. Il confisque les propriétés agricoles appartenant à des étrangers, nationalise l'électricité, les banques, l'industrie et le commerce, et impose une planification économique centralisée. Lorsque le président repentant se convertit au libéralisme économique en 1989, il est trop tard. Deux ans de manifestations, de grèves et d'émeutes s'ensuivent et l'obligent à organiser des élections. En février 1993, il s'incline face au professeur Albert Zafy qui, en guise de cadeau de bienvenue à la tête du nouveau régime démocratique, hérite d'un troupeau d'éléphants blancs : 250 entreprises d'Etat pour la plupart improductives qu'on cherche maintenant, sans trop de succès, à privatiser.

Malgré le changement de régime, l'île s'enfonce chaque jour un peu plus. Depuis dix ans, le PNB a reculé de 40 %, la surface cultivable de l'île a été divisée par deux, son rendement agricole par sept. Sur les 50 000 km de routes que le pays comptait dans les années 70, 26 000 ont disparu par manque d'entretien. Le pays est aujourd'hui au bord du naufrage économique et ce sont surtout les paysans qui écopent. Depuis que la commercialisation de leurs produits leur échappe, ils doivent les vendre pour une bouchée de pain. "Tous les profits de la vanille vont à Paris, Toronto ou Bombay", soupire Olivier Ravarison, économiste du ministère du commerce. "J'ai vu dans une région de l'île un paysan qui échangeait dix kilos de vanille, d'une valeur de 600 dollars, pour un litre de whisky !"

Tana touche le fond

L'an dernier, Géralda est venue rappeler aux paysans que la fin du marxisme et l'accalmie politique qui a suivi ne signifiait pas la fin de leurs malheurs. Géralda est le cyclone du siècle à Madagascar. Ses vents de plus de 400 km/h et ses pluies torrentielles ont fait 300 morts et un demi-million de sans-abri. Ils ont coupé les principales routes, emporté les ponts et mis l'électricité et les télécommunications hors d'usage. Et par-dessus tout, ils ont détruit une grande partie des récoltes de riz, une tragédie pour les 13 millions de Malgaches, plus gros consommateurs de riz au monde. Selon l'économiste Olivier Ravarison, Géralda est venue amplifier le risque d'une révolte des paysans, le plus grave danger qui pèse sur Madagascar d'après lui. "Il faut trouver le moyen de faire vivre les agriculteurs malgaches, prévient-il, sinon, l'exode rural va s'accentuer."

Tananarive, où viennent échouer les paysans qui n'arrivent plus à vivre de leurs terres, donne déjà tous les signes d'une ville débordée. Une foule de déshérités de la campagne se sont recyclés dans le petit commerce de rue. Ils partagent leur bout de trottoir avec des handicapés difformes, des lépreux et des gamins crasseux, poussés à la mendicité par leurs parents incapables de les nourrir. Les jeunes mendiants, dont certains ont quatre ans, sont assis par terre, à hauteur des tuyaux d'échappement des voitures qui zigzaguent entre les nids de poules géants. Dès le crépuscule, la psychose des agressions nocturnes donne à leur capitale des allures de ville-fantôme.

'Tana', qui a déjà eu la réputation d'être la ville la plus propre d'Afrique, touche le fond. C'est pourquoi, disent certains, la situation ne peut maintenant que s'améliorer. De nombreux investisseurs, séduits par le potentiel de l'île, guettent les signes qui leur permettront de partager cet optimisme.

Le sable noir des Québécois

L'homme d'affaires québécois Serge Lachapelle est de ceux-là. Il a gagné, contre des Américains et des Italiens, la course pour le plus important gisement d'ilménite inexploité au monde. "C'est de loin le plus gros projet économique à Madagascar, un mégaprojet comparable aux grands travaux d'Hydro-Québec", clame-t-il. L'ilménite est un sable noir qui renferme le bioxyde de titane, un produit qui sert de base à la couleur blanche dans les peintures, les plastiques, etc.

La compagnie de Sorel que représente Serge Lachapelle, QIT-Fer et Titane inc., détient les droits d'exploitation sur ce gisement du sud du pays qui comblerait jusqu'à 10% des besoins mondiaux pendant 40 ans. Un projet de plus d'un demi-milliard de dollars devant créer jusqu'à 600 emplois directs. Les exigences de sa réalisation sont nombreuses. QIT doit offrir certaines garanties pour la restauration de l'environnement, construire un port de mer, des routes et une centrale électrique de 25 mégawatts. Pourtant, ce qui préoccupe le plus Serge Lachapelle est d'un autre ordre. Pour rassurer les investisseurs et obtenir le financement nécessaire au projet, sa compagnie doit notamment être propriétaire du sol sur lequel seront construits le port de mer et la centrale électrique, ce que la loi malgache interdit aux étrangers. A cause d'obstacles culturels comme celui-ci, des obstacles liés à leur mentalité d'insulaires, Serge Lachapelle s'interroge sur la capacité des Malgaches à faire leur entrée dans la grande économie de marché. "Ils se disent prêts à s'ouvrir sur le monde mais ils s'imaginent que parce qu'ils ont une culture originale, le monde entier va les traiter d'une façon différente."

Le rythme de vie différent à Madagascar est un frein à son développement économique, croit Jacques Couture, ex-ministre de l'Immigration dans le gouvernement Lévesque et missionnaire à Tananarive depuis treize ans. "Quand tu rentres chez Bombardier, tu poinçonnes et tu te mets à l'ouvrage. Ici, chaque employé met au moins un quart d'heure pour saluer les autres. Si un de ses cousins éloignés meurt, il quitte son travail pendant dix jours pour assister aux funérailles. La priorité ici, ce n'est pas de faire du fric. C'est la qualité des rapports humains, c'est la vie familiale."

La Mecque du tourisme vert

La plupart des observateurs estiment que Madagascar pourrait devenir la Mecque du tourisme vert. Mais les Malgaches doivent d'abord construire les routes, les hôtels et autres infrastructures qui leur font cruellement défaut. Pour sortir de l'impasse économique, le pays doit aussi investir massivement dans son agriculture encore très rudimentaire. Pour cela, il a besoin de beaucoup d'argent.

Depuis quatre ans, le neuvième pays le plus pauvre au monde, incapable de rembourser sa dette de 4 milliards de dollars, n'avait plus d'accord avec le FMI. Il s'est tourné, selon des diplomates, vers des financements internationaux provenant en partie du blanchiment de l'argent de la drogue. Maintenant que les Malgaches ont accepté de se plier aux conditions très strictes du FMI et de la Banque mondiale, certains espèrent un redressement de la situation. Déjà, certaines mesures impopulaires ont été prises, comme le flottement du franc malgache (qui lui a fait perdre près des deux tiers de sa valeur).

Ce gouvernement inexpérimenté doit aussi faire la preuve de sa bonne gestion, ce qui, devant certaines décisions déconcertantes ne fait pas l'unanimité. Serge Lachapelle donne pour exemple la décision du gouvernement de faire cadeau d'une voiture tout terrain à chacun des 138 députés et de doubler leurs salaires. "Avant que les hommes politiques apprennent le jeu démocratique, il va y avoir d'autres dérapages. D'après moi, le pire n'est pas passé. Les mesures dures qu'ils vont devoir prendre ne produiront pas de résultats positifs avant deux ou trois ans." Comme toutes les ressources et le potentiel sont là, Jacques Couture est plus optimiste. "Le pays ne s'effondrera pas pour le moment. Tous les signes sont là pour démontrer que le redressement est possible." S'ils veulent se relever de la situation, la question, selon lui, est de savoir si les Malgaches pourront aller jusqu'au bout des choix douloureux que les grandes institutions internationales attendent d'eux. "Ma grand-mère disait : 'On ne peut pas être à moitié enceinte'. Pour l'économie de marché c'est la même chose. On y entre ou on n'y entre pas."                                                                 

Robert Bourgoing


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