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Lutte traditionnelle : sport, argent et pouvoir

La lutte traditionnelle, extrêmement populaire au Niger, n'est pas un sport comme les autres. Phénomène culturel et économique, elle a aussi investi l'arène politique.

Dans le stade d'Agadez, 80 colosses ceinturés de gris-gris défilent au son des tambours. Sous les applaudissements de la foule en liesse, les dieux du stade bombent le torse et gonflent les biceps, les amuseurs publics rivalisent de pitreries et les chameliers touaregs font danser leurs montures. Nous sommes fin décembre 1996. A l'occasion du championnat de lutte traditionnelle du Niger, les athlètes sont venus de toutes les régions du pays. Parmi eux, Ali Tamala, 2 m 10, 95 kilos de muscle. Ce paysan de 27 ans originaire de Bargo, petit village du département de Zinder, dans l'est du pays, est bien déterminé à mettre la main sur le titre national. Récompense : un sabre, un cheval harnaché, une tenue traditionnelle et une "enveloppe" des mains du ministre de la Jeunesse et des Sports.

Pour accéder à la grande finale, Ali doit disputer et gagner sept combats, empoigner ses adversaires et les faire tomber dans le sable. A mi-chemin entre le sumo (la lutte japonaise) et la lutte gréco-romaine, ce sport se pratique dans les villages les plus reculés, dès l'enfance, et jouit d'une énorme popularité au Niger et dans les pays voisins (Sénégal, Bénin, Nigeria, Côte d'Ivoire, Togo, Ghana, Burkina, Mali). "La lutte traditionnelle est notre sport authentique alors que le football a été importé", souligne Maître Mari Malandaoda, champion de judo, arbitre et professeur de combat.

La lutte dans l'arène politique

C'est la vingtième édition du championnat de lutte (institué en 1975 par les militaires). La radio et la télévision nationales battent tous leurs records d'écoute. C'est aussi le premier anniversaire du coup d'Etat militaire qui a porté au pouvoir le général Ibrahim Barré. Celui-ci, invité à donner le coup d'envoi du championnat, s'avance au micro et se pose en champion du dialogue politique devant un parterre de diplomates à l'air grave et recueilli. "Qu'il me soit permis de souligner que s'il y a des acquis dont nous pouvons être légitimement fiers, c'est d'avoir instauré un renouveau démocratique. C'est cela qui nous permet de nous retrouver ici aujourd'hui, avec nos amis, au milieu de tous ces jeunes venus témoigner de leur foi en l'avenir de leur cher pays. Puisse votre exemple inspirer les combats dans nos arènes politiques où l'adversaire est souvent considéré comme un ennemi qu'il faut nécessairement humilier ou détruire..."

Pour ses opposants, le message du président nigérien pourrait apparaître comme une tentative de récupération politique d'un événement sportif. Il est pourtant bien reçu par certains lutteurs. "A partir de 1991, se rappelle Ali Tamala, à cause de la démocratie, notre sport ne marchait pas très bien". Avec le multipartisme, en effet, les commerçants et autres commanditaires finançaient uniquement les lutteurs qui partageaient leurs affinités politiques. Il ne suffisait pas de gagner. Il fallait aussi être du bon parti. Aujourd'hui, les revenus ne sont plus aussi morcelés et Ali touchera un cachet même s'il ne gagne pas. Quand on lui demande s'il préfère le régime militaire, la réponse tombe sans hésitation. "Ah oui ! C'est beaucoup beaucoup mieux !"

Ali ne fait pas mystère de ses motivations profondes. Elles sont les mêmes, dit-il, que celles des autres lutteurs, des paysans pour la plupart. "Tout le monde fait ça pour l'argent. Mais oui ! Je n'aime pas lutter. C'est pour l'argent ! Dans mon village, on ne fait rien sauf l'agriculture et l'élevage. Cette année, il ne pleut pas beaucoup et certains ne savent même pas s'ils mangeront dans une semaine. Je veux lutter encore deux ou trois ans, laisser la lutte et faire du commerce. C'est mieux pour moi. Je pourrai me reposer." M. Malandaoda renchérit : "Beaucoup de lutteurs de renommée se sont enrichis grâce à la lutte. Ils ont des maisons, des voitures, de l'argent. Un commerçant est capable d'offrir un million de francs cfa à un lutteur parce qu'il lui plaît ! Et tout le monde gagne. Les "charlots" (NDLR les amuseurs publics) que vous voyez, les joueurs de tambours, le chanteur national, ils en ont tous pour leur compte. Les lutteurs consultent aussi des marabouts et des féticheurs. Les uns s'amusent mais les autres gagnent. C'est devenu une industrie".

Gris-gris et petits poids

Matin et soir, Ali Tamala court deux ou trois kilomètres. Il mange de la boule de mil et de la viande sous l'oeil attentif d'Ahmadou "Bonne Chance" Mamani, ex-caporal chef de l'armée française et encadreur des 25 lutteurs de Zinder. "Ma responsabilité est de surveiller leur nourriture pour ne pas que quelqu'un vienne y mettre du poison." Ali n'a pas à surveiller sa ligne. La lutte traditionnelle, souligne M. Malandaoda, est une lutte toutes catégories. "On peut être petit et fort, on peut être grand et faible. Celui qui a gagné le plus souvent (4 fois) en 20 ans de championnat ne pèse que 75 kilos. Les poids lourds ont des difficultés avec les petits poids. Parce que les petits poids sont trop mobiles, ce qui leur crée des problèmes de déplacement."

Tamala a ses petites habitudes. "Je fais certains gestes, je porte toujours des gris-gris. Je vais faire la prière pour que les dieux me donnent de la chance. C'est par la chance qu'on gagne... Ce n'est pas par la force." Comme pour tous les professionnels du sport, la préparation psychologique d'Ali occupe une place importante dans son entraînement. "Tout le monde a son marabout, tout le monde a son féticheur, reconnaît M. Malandaoda, lui-même ancien lutteur. J'ai participé à des rituels animistes. Quand on se déplaçait, il fallait enterrer des chats vivants ! Il fallait aller dormir au cimetière. Aujourd'hui même, tous les grands lutteurs ne dorment pas dans la commune d'Agadez... Ils dorment dehors dans les cimetières, là-bas de l'autre côté sous les grands arbres... Parce que vous savez, dans la lutte, il faut faire tomber quelqu'un pour le vaincre. Et comme au cimetière, on dort à jamais, le marabout peut vous dire : Allez au cimetière, monsieur. Votre adversaire sera comme un homme mort."
Malgré ces précautions, Ali, le lutteur de Zinder, n'a pas eu de chance. Après tirage au sort, il a dû affronter, dès son premier combat, le champion "Commando", ancien détenteur du sabre. "Ils se méfiaient l'un de l'autre, explique Mari Malandaoda, et vous savez, ils faisaient chacun plus de 90 kilos. C'était comme quand deux éléphants se battent : c'est l'herbe qui en subit les conséquences. Ils se sont poussés. Ils ont fait "tu me pousses - je te pousse" au lieu de "tu me pousses - je te tire" ! Il n'y a pas eu de déséquilibre !" Les arbitres ont appliqué le nouveau règlement national : Ali a écopé et perdu par décision, pour non-combativité. "Maintenant ça devient très technique. Nous sommes en train d'évoluer comme ça. Il faut se rapprocher de la lutte gréco-romaine pour faire entendre le nom du Niger à l'étranger. Si on reste dans le domaine traditionnel, il n'y aura pas d'évolution. On est obligé d'aller vers un certain modernisme. Si nous avons des gens forts traditionnellement, on peut les faire travailler pour les rendre forts... de façon moderne quoi !"

Robert Bourgoing
1ière publication : mars 97


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