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Liberia : les leçons de la guerre
Au Liberia, de jeunes combattants avaient déposé les armes pour apprendre, dans un centre spécialisé, à redevenir des enfants. Aujourdhui, profitant dune accalmie, ils tentent de rouvrir leur école pillée et vandalisée durant les derniers affrontements.
Quatre cents jeunes démobilisés fréquentaient Don Bosco avant les derniers affrontements. Dans cette école spécialisée, ils suivaient des cures de désintoxication et des thérapies pour les "désarmer" émotivement et mentalement. Presque tous étaient dépendants de drogues (marijuana, amphétamines, cocaïne) et présentaient de nombreux symptômes de troubles psychologiques (hallucinations, cauchemars, difficultés de concentration, incontinence, etc.). Pour apprendre à vivre sans la guerre, ils recevaient des rudiments de menuiserie, de plomberie, délectricité et dagriculture. On leur apprenait à lire, à écrire et, surtout, à redevenir des enfants. Aujourdhui, plusieurs dentre eux errent sans but dans les rues de la capitale.
A 7 ans, Abraham, alias "Hitler le Tueur", vivait paisiblement dans un petit village du comté de Lofa, à 150 km au nord-ouest de la capitale. Quand des combattants ont tué son père et sa soeur devant lui, sa mère ayant pris la fuite, sa vie a basculé. Seul et sans ressources, il a été recruté par lULIMO pour prendre part à des opérations despionnage et des missions-suicide. Aujourdhui, à 11 ans, avec un prénom juif et un surnom de dictateur nazi, cet enfant déchiré traîne un lourd passé. "Je rêve aux gens que j'ai tués et je vois leurs visages. C'est pas bien parce que je les ai tués. C'est pas bien mais... je voulais combattre parce que les gens m'ont presque tué !" Abraham, dont le plus grand rêve est de travailler dans un bureau et devenir quelquun de bien, a quand même de la chance : "Un des garçons que vous avez interviewés, précise le Père Brown, "Hitler the Killer", est resté à lécart des combats et est inscrit dans notre cours de plomberie. "
Lutilisation généralisée des enfants-soldats (près du tiers des combattants, orphelins ou séparés de leurs familles durant les combats, ont moins de 18 ans et 6 000 moins de 15 ans) est un autre trait marquant de cette guerre. Elle illustre laveuglement des chefs de guerre et leur extraordinaire mépris pour le sort de ces enfants qui sacrifient leur jeunesse pour eux. Un exemple : Elliot Blidi, porte-parole du Front National Patriotique de Charles Taylor, la plus importante faction armée au Liberia. Il y a quelques mois, ce fils de bonne famille, toujours tiré à quatre épingles, nous confiait sans sourciller : "Beaucoup d'entre eux en sortiront grandis. Plus forts, physiquement développés, plus éveillés. Parce que lorsque vous combattez dans une guérilla et que vous pouvez tomber dans une embuscade à tout moment, que la personne derrière vous peut vous tirer dans le dos, qu'un franc-tireur caché dans un arbre ou dans un fossé peut vous mettre une balle dans la tête, vous êtes alerte, plus conscient de la nature humaine ! Je crois que même si un enfant a perdu 5 ans, s'il est encouragé à retourner à l'école, il fera mieux qu'il n'aurait fait s'il n'avait pas eu l'expérience stimulante et fortifiante de cette guerre (sic)". Ces propos se passent de commentaires. Ajoutons tout de même que le 23 juillet dernier, la Communauté économique des Etats dAfrique de lOuest (CEDEAO) adoptait une résolution évoquant la possibilité de poursuivre les chefs des factions libériennes pour crimes de guerre.
Malgré linconscience de certains adultes, les enfants de Don Bosco semblent avoir tiré une toute autre leçon de la guerre. Au cours des derniers mois, écrit le Père Brown, ses élèves, qui ne sont pas réputés être des enfants de choeur, ont fait preuve dune maturité et dun courage exemplaires. "Lorsque des combattants ont fait irruption à la Maison Don Bosco pour piller nos bureaux, les enfants les en ont empêchés. Ils ont décidé quils ne quitteraient pas les lieux, contrairement à ce que les combattants souhaitaient. Ils leur ont tenu tête en faisant valoir quils avaient eux-mêmes combattu. Ils y sont toujours et se portent bien. Nous avons maintenant un groupe de 70 enfants dans notre programme de réhabilitation et plus de 200 dans nos résidences. Nous sommes extrêmement heureux de constater que plus de 80 % de nos jeunes nont pas repris les armes. (...) Notre expérience nous démontre que la plupart cherchent, plus que toute autre chose, une alternative à lutilisation des armes. Leur besoin le plus urgent est dêtre reconnus comme des êtres humains et non comme des tueurs." Lavenir des enfants-soldats démobilisés est dans leurs villages. Ce sont ces communautés qui les connaissent et qui devront en assumer la responsabilité. Cest là quils pourront vraiment se repentir et manifester leur volonté dêtre réintégrés. La compagnie Firestone, propriétaire de la plus grande plantation dhévéas au monde, offre de les faire travailler à Harbel, une région doù proviennent la plupart des jeunes de Don Bosco. Mais pour que ce nouveau projet aboutisse, les combats doivent cesser définitivement. Dici là, le défi que représentent la démobilisation et la réintégration des enfants-soldats dans la société libérienne demeure immense. La détermination du Père Brown aussi. "Notre intention est de continuer de faire ce que nous avons toujours fait, mais dune façon discrète et avec un minimum déquipements coûteux pour éviter des pertes trop lourdes si les combats reprennent." Il faut occuper les enfants, conclut-il, pour leur redonner lestime de soi et des outils pour reconstruire ce quils ont détruit. Une façon doublier ce quils ont appris à lécole de la guerre.
Robert Bourgoing |
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