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Liberia : les leçons de la guerre

Au Liberia, de jeunes combattants avaient déposé les armes pour apprendre, dans un centre spécialisé, à redevenir des enfants. Aujourd’hui, profitant d’une accalmie, ils tentent de rouvrir leur école pillée et vandalisée durant les derniers affrontements.

http://www.cpj.org/dangerous/Fall99/Self_censor/main.html"Le 30 juin à 5 heures du matin, un groupe de 25 hommes armés a fait irruption dans un de nos centres, ligoté une trentaine d’enfants et terrorisé les autres en tirant dans toutes les directions. Ils ont tué un vieil homme, défoncé les portes et volé toute la nourriture..." Ce message qui tombe du télécopieur brise un long silence. Depuis la reprise des hostilités au Liberia, en avril et mai derniers, le Père Joe Brown, un des rares occidentaux qui aient refusé de quitter le pays, ne pouvait plus communiquer avec le monde extérieur. A Monrovia, ce prêtre salésien et quelques religieux britanniques dirigent l’école Don Bosco. Avec le C.A.P. (Children Assistance Program), c’est un des deux centres de rééducation des enfants-soldats au Liberia. "Notre programme d’enseignement technique a été suspendu sur recommandation de l’Archevêque de Monrovia, écrit le Père Brown dans son fax. Notre Maison des jeunes de Matadi (ndlr : un quartier de Monrovia) a été saccagée et demeure fermée. Nous rachetons dans la rue des biens qui ont été pillés dans nos ateliers."

Quatre cents jeunes démobilisés fréquentaient Don Bosco avant les derniers affrontements. Dans cette école spécialisée, ils suivaient des cures de désintoxication et des thérapies pour les "désarmer" émotivement et mentalement. Presque tous étaient dépendants de drogues (marijuana, amphétamines, cocaïne) et présentaient de nombreux symptômes de troubles psychologiques (hallucinations, cauchemars, difficultés de concentration, incontinence, etc.). Pour apprendre à vivre sans la guerre, ils recevaient des rudiments de menuiserie, de plomberie, d’électricité et d’agriculture. On leur apprenait à lire, à écrire et, surtout, à redevenir des enfants. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux errent sans but dans les rues de la capitale.

http://www.warnews.it/ita/liberia01.htmlMissions-suicide

A 7 ans, Abraham, alias "Hitler le Tueur", vivait paisiblement dans un petit village du comté de Lofa, à 150 km au nord-ouest de la capitale. Quand des combattants ont tué son père et sa soeur devant lui, sa mère ayant pris la fuite, sa vie a basculé. Seul et sans ressources, il a été recruté par l’ULIMO pour prendre part à des opérations d’espionnage et des missions-suicide. Aujourd’hui, à 11 ans, avec un prénom juif et un surnom de dictateur nazi, cet enfant déchiré traîne un lourd passé. "Je rêve aux gens que j'ai tués et je vois leurs visages. C'est pas bien parce que je les ai tués. C'est pas bien mais... je voulais combattre parce que les gens m'ont presque tué !" Abraham, dont le plus grand rêve est de travailler dans un bureau et devenir quelqu’un de bien, a quand même de la chance : "Un des garçons que vous avez interviewés, précise le Père Brown, "Hitler the Killer", est resté à l’écart des combats et est inscrit dans notre cours de plomberie. "

Depuis le 24 décembre 1989, le Liberia s’enfonce dans une spirale de violence inimaginable. Cette guerre sauvage a fait 150 000 morts (des civils en très grande majorité) et provoqué la fuite des quatre cinquièmes de la population. Le treizième accord de paix, signé en août 1995 par les chefs des six factions armées, prévoyait le désarmement des 60 000 combattants et la tenue d’élections en août 1996. En avril dernier, une nouvelle explosion de violence l’a fait voler en éclats et le processus de paix est de nouveau au point mort.

L’utilisation généralisée des enfants-soldats (près du tiers des combattants, orphelins ou séparés de leurs familles durant les combats, ont moins de 18 ans et 6 000 moins de 15 ans) est un autre trait marquant de cette guerre. Elle illustre l’aveuglement des chefs de guerre et leur extraordinaire mépris pour le sort de ces enfants qui sacrifient leur jeunesse pour eux. Un exemple : Elliot Blidi, porte-parole du Front National Patriotique de Charles Taylor, la plus importante faction armée au Liberia. Il y a quelques mois, ce fils de bonne famille, toujours tiré à quatre épingles, nous confiait sans sourciller : "Beaucoup d'entre eux en sortiront grandis. Plus forts, physiquement développés, plus éveillés. Parce que lorsque vous combattez dans une guérilla et que vous pouvez tomber dans une embuscade à tout moment, que la personne derrière vous peut vous tirer dans le dos, qu'un franc-tireur caché dans un arbre ou dans un fossé peut vous mettre une balle dans la tête, vous êtes alerte, plus conscient de la nature humaine ! Je crois que même si un enfant a perdu 5 ans, s'il est encouragé à retourner à l'école, il fera mieux qu'il n'aurait fait s'il n'avait pas eu l'expérience stimulante et fortifiante de cette guerre (sic)". Ces propos se passent de commentaires. Ajoutons tout de même que le 23 juillet dernier, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) adoptait une résolution évoquant la possibilité de poursuivre les chefs des factions libériennes pour crimes de guerre.

http://news.bbc.co.uk/hi/english/world/africa/newsid_1508000/1508841.stmDes êtres humains, pas des tueurs

Malgré l’inconscience de certains adultes, les enfants de Don Bosco semblent avoir tiré une toute autre leçon de la guerre. Au cours des derniers mois, écrit le Père Brown, ses élèves, qui ne sont pas réputés être des enfants de choeur, ont fait preuve d’une maturité et d’un courage exemplaires. "Lorsque des combattants ont fait irruption à la Maison Don Bosco pour piller nos bureaux, les enfants les en ont empêchés. Ils ont décidé qu’ils ne quitteraient pas les lieux, contrairement à ce que les combattants souhaitaient. Ils leur ont tenu tête en faisant valoir qu’ils avaient eux-mêmes combattu. Ils y sont toujours et se portent bien. Nous avons maintenant un groupe de 70 enfants dans notre programme de réhabilitation et plus de 200 dans nos résidences. Nous sommes extrêmement heureux de constater que plus de 80 % de nos jeunes n’ont pas repris les armes. (...) Notre expérience nous démontre que la plupart cherchent, plus que toute autre chose, une alternative à l’utilisation des armes. Leur besoin le plus urgent est d’être reconnus comme des êtres humains et non comme des tueurs."

L’avenir des enfants-soldats démobilisés est dans leurs villages. Ce sont ces communautés qui les connaissent et qui devront en assumer la responsabilité. C’est là qu’ils pourront vraiment se repentir et manifester leur volonté d’être réintégrés. La compagnie Firestone, propriétaire de la plus grande plantation d’hévéas au monde, offre de les faire travailler à Harbel, une région d’où proviennent la plupart des jeunes de Don Bosco. Mais pour que ce nouveau projet aboutisse, les combats doivent cesser définitivement.

D’ici là, le défi que représentent la démobilisation et la réintégration des enfants-soldats dans la société libérienne demeure immense. La détermination du Père Brown aussi. "Notre intention est de continuer de faire ce que nous avons toujours fait, mais d’une façon discrète et avec un minimum d’équipements coûteux pour éviter des pertes trop lourdes si les combats reprennent." Il faut occuper les enfants, conclut-il, pour leur redonner l’estime de soi et des outils pour reconstruire ce qu’ils ont détruit. Une façon d’oublier ce qu’ils ont appris à l’école de la guerre.

Robert Bourgoing
1ière publication : mars 96


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