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Des lagunes de cauchemar

Au Ghana, des écologistes font appel aux croyances traditionnelles pour sauver des lagunes qui comptent parmi les plus polluées au monde.

L'écologiste ghanéen s'approche avec précaution du bord de l'étang et prévient amicalement le visiteur : « Si vous tombez là dedans, vous mourrez en quelques minutes ». Theo Anderson, directeur du groupe écologiste Les Amis de la Terre au Ghana, ne plaisante pas. La lagune Korle, à Accra, la capitale du pays, est un des endroits les plus pollués au monde. Cet entonnoir naturel, où se déverse la plus grande partie des déchets industriels et humains de la ville, est un cauchemar environnemental. Depuis longtemps, la pollution bloque toute forme de vie dans la lagune, animale ou végétale. Le sirop noir et nauséabond est tellement épais que même les bateaux ne s'y aventurent plus ; l’odeur enveloppe le bidonville adjacent où s'entassent des centaines de familles. Comme celles-ci n'ont aucun équipement sanitaire, elles ont transformé les rives en un immense champ de déjections humaines.

Certes, la lagune Korle est un exemple extrême, mais le groupe écologiste Les amis de la Terre a constaté le même spectacle de désolation tout le long de la côte, là où dix grands fleuves se jettent dans le golfe de Guinée. Sur 95 lagunes recensées, cinq ont un niveau de pollution acceptable.

Des souvenirs anciens

La côte ghanéenne, avec ses plages de rêve et ses vieux forts de l'époque esclavagiste, présente de formidables attraits touristiques. Pourtant, ce qui préoccupe davantage les écologistes, c'est l'intérêt économique extraordinaire de ces lagunes pour les trois millions de riverains, une importance qui dépasse même les frontières du Ghana : le sel, le poisson et le bois des lagunes sont encore vendus au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Aujourd'hui, la coupe de bois de feu, l'utilisation par les pêcheurs de filets à petit maillage, d'explosifs et de produits chimiques détruisent la faune aquatique et menacent la survie des collectivités qui en dépendent.
Les trois quarts des mangroves ont déjà disparu et les riverains doivent acheter du bois au marché pour fumer le poisson et évaporer l'eau salée. Le travail des femmes est très perturbé puisque ce sont elles qui coupent le bois, fument le poisson et transportent le sel des lagunes. Selon Anderson, bien d’autres facteurs contribuent à cette dégradation : le rejet de déchets dans les rivières qui mènent aux lagunes, la conversion de celles-ci en marais salants, la croissance démographique et le remblaiement. Les gens s'installent autour des lagunes parce qu'ils espèrent tirer leur subsistance de la pêche et du sel. Sans oublier qu'il y a peu de moustiques à cause de l'eau salée.

Les esprits de l'eau

L’étude d’Anderson sur les lagunes ghanéennes a duré 30 mois. Financée par le CRDI, l’enquête propose une série de mesures de nettoyage. L'environnementaliste croit qu'il faut d'abord freiner la pollution, et que la pluie et les marées se chargeront du reste. Pour limiter les sources polluantes, Anderson espère pouvoir compter sur un allié de taille : la population riveraine.
Les lagunes du Ghana ont une grande importance spirituelle pour les habitants ; elles sont, dit-on, habitées par les esprits. L'eau est sacrée et les croyances traditionnelles imposent un code de conduite à respecter scrupuleusement. Souvent, la science et la loi des ancêtres se rejoignent. Pourquoi, par exemple la pêche était-elle traditionnellement interdite pendant certaines périodes de l'année ? Cette interdiction coïncidait avec la période de fraie des poissons.

Là où le christianisme n’exerce plus la même influence, le culte de la nature est contrarié et les populations ont plutôt tendance à se tourner vers les dieux à figure humaine. Dans les années récentes, toutefois, une partie du clergé a joué un rôle constructif dans la gestion et la conservation de la nature. La nouvelle formation des pasteurs et des prêtres laisse croire que leur influence grandira.

Anderson considère que, dans les régions où la foi chrétienne n’est pas très répandue, on pourrait tabler sur les croyances traditionnelles toujours vivantes pour faire participer les habitants à la protection et au nettoyage des lagunes. Il veut donc organiser des séances d'information afin de rappeler aux riverains leur devoir de protection que prescrivent les ancêtres. Ce programme d'éducation serait assorti de mesures incitatives pour responsabiliser les chefs locaux et leur donner les moyens d'agir (en construisant, par exemple, des latrines).

Pour financer ce projet, les écologistes lorgnent vers les agences de l'ONU. Afin de rendre leur demande plus attrayante, ils cherchent des sites pollués qui peuvent représenter un intérêt international comme les lieux de nidification des oiseaux. L’État du Ghana, enfant chéri du FMI et de la Banque mondiale, paie le prix de son succès. Avec la mise en place du programme d'ajustement structurel, les subventions pour la santé, l'éducation et les services sociaux ont toutes été réduites. Bien que les coffres du gouvernement soient vides, Les amis de la Terre souhaitent obtenir son appui pour adopter une politique de contrôle de la pollution et coordonner l'évacuation des ordures.

Dans les zones urbaines, comme Accra, les Ghanéens ont perdu leurs croyances traditionnelles et n'ont plus le même sens de la communauté, étant davantage préoccupés par leur intérêt pécuniaire. Il sera donc difficile d'obtenir leur coopération, croit Theo Anderson. Il reste une solution : adopter une loi environnementale assortie de sanctions sévères et de moyens efficaces pour son application.

Cet été, le président Jerry Rawlings a obtenu d'une banque saoudienne qu'elle finance la tâche environnementale la plus monumentale au Ghana : nettoyer la lagune Korle. Malgré les meilleures intentions des politiciens, les écologistes croient qu'il y a des limites à ce qu'on peut faire : « C'est sans espoir », laisse tomber Theo Anderson devant un canal qui se déverse dans la lagune. Près de lui, une énorme truie, patauge dans un mètre de mélasse toxique. Un peu plus loin, près des rejets d’égouts, des enfants insouciants plongent la tête la première, là même où la lagune rejoint l'océan.

Robert Bourgoing.


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