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Jeux de guerre en Angola

L’UNITA, ex-mouvement rebelle et le gouvernement angolais ont signé, le 4 avril 2002, un accord de paix qui doit mettre fin à plus de 25 ans de guerre. Une autre catastrophe humanitaire menace maintenant l’Angola : la famine. Le reportage qui suit a été réalisé en 1995. Vous pouvez lire les dépêches d'actualité les plus récentes concernant l'Angola.

Au coeur de la zone des combats, à Huambo et Ganda, les petits Angolais jouent à la guerre des grands. Les jeux d'une génération sacrifiée qui n'a jamais connu la paix.

Trois bambins silencieux construisent deux petits châteaux de sable. L'un d'eux se lève, saisit une pierre d'une main et de l'autre, une tige de métal qu'il fait voler à la manière d'un avion. Au-dessus de la première mini-forteresse, il laisse tomber la pierre qui s'écrase sur le travail patiemment édifié. Dans la bouche des gamins, aucune protestation. Sur leurs visages, aucune émotion apparente, ni joie, ni peine. Aussitôt, ils reprennent le même manège, imperturbables. Et le château de sable soigneusement reconstruit sera à nouveau détruit.

Ce jeu en apparence anodin se déroule dans les ruines de Huambo, au coeur de la guerre civile qui ravage l'Angola depuis vingt ans. Cette ancienne capitale des rebelles de l'UNITA (Union pour l'indépendance totale de l'Angola) a été reprise en novembre par les soldats de l'armée gouvernementale. On la surnommait 'ville-vie'. Aujourd'hui, après des années de combats extrêmement violents, il ne reste presque plus rien de la ville et de la vie.

Tout l'univers des enfants de Huambo gravite autour de la guerre et de l'aide d'urgence. Les trois bambins simulent le bombardement de leur bunker, une scène devenue familière dans ce Beyrouth africain. Certains confectionnent avec des bouts de tôle récupérée des répliques étonnantes d'avions et de camions portant le sigle de la Croix-Rouge, parmi les seuls véhicules encore en circulation dans cette cité aux allures de ville-fantôme. D'autres fabriquent des talkies-walkies en argile ou découpent des chapeaux et des lunettes de plastique dans les bidons d'huile végétale distribués par les Nations-Unies.

Plus à l'ouest, dans l'enclave de Ganda, ville minuscule posée au milieu d'un immense champ de mines, c'est partout le même spectacle de désolation. Dans la gare envahie par les herbes et les familles de squatters, où aucun train n'est passé depuis deux ans. A l'hôpital, où pleurent de douleur des bébés aux ventres ballonnés.

Les enfants bien portants, eux, s'amusent comme ils peuvent. Certains fabriquent des poupées d'argile auxquelles ils cassent délibérément une jambe. "C'est pour faire plus réel" explique Etienne Fox, un Suisse qui s'occupe des distributions alimentaires pour le Comité international de la Croix-Rouge. Ces poupées sont à l'image des nombreux amputés de guerre de Ganda, posée au centre d'un immense champ de mines (dans un pays qui en compte 17 millions). Ces engins n'épargnent pas les enfants. "Les mines Papillon font énormément de dégâts. Ce sont des mines larguées d'hélicoptère ou d'avion, qui ressemblent à des petits papillons. Lorsque les enfants les voient, ils les prennent, ce qui leur fait sauter les mains."

Des enfants trop sages parce qu'ils ont faim

Pour les jeunes Angolais de l'intérieur du pays, loin des grandes villes côtières, il y a, en plus de la guerre, la famine. A Ganda, ils dépendent presque totalement, pour leur survie, des acheminements aériens quotidiens de la Croix-Rouge. A son arrivée, M. Fox a été frappé par le calme des enfants dont la moitié souffraient de malnutrition grave. "Lorsqu'ils vont très mal, les enfants sont extrêmement sages. Ils ne jouent plus. Ils savent très vite quand ça ne va plus du tout, quand ils vont mourir."    Ecouter l'interview radio de M. Fox

Après deux années d'interruption des classes, une première école a rouvert ses portes en décembre à Ganda. Pour Ahora La Malta, une jeune élève de 14 ans, c'est une délivrance. "Je passais la journée entière à ne rien faire. Je ne sentais rien. Je ne pensais à rien." Ahora garde un souvenir très douloureux des dernières années. "J'ai eu très faim. Beaucoup de gens sont morts. On mangeait de la papaye qu'on épluchait et qu'on cuisinait, du maïs aussi. Je me sentais mal. Je suis devenue très maigre. Quand il y avait des combats, on s'enfermait à l'intérieur de la maison, sous les lits parfois." Ahora n'a jamais connu la paix mais, jure-t-elle, on ne s'habitue pas à la guerre. "Durant les combats, je me sentais très mal. Ils ont tué ma cousine. L'autre est morte de faim. On a dû se sauver, courir beaucoup, se cacher. Ma soeur est restée, elle est morte."

Dans la brousse angolaise, la guerre a déjà produit des dizaines de milliers d'orphelins qui vont échouer à Luanda et dans les autres villes côtières. Pour Etienne Fox, ces enfants risquent davantage que les adultes de rester marqués par la guerre. "Des milliers d'enfants de la rue sont laissés complètement à eux-mêmes et souvent rackettés, ils ont des problèmes de prostitution, de petite criminalité. Il y a une répression très forte des forces de sécurité contre ces enfants, vu qu'ils font fuir les clients des restaurants."

Le journaliste angolais Jorge Silva s'inquiète pour l'avenir de ces petits qui jouent à la guerre des grands. "La guerre a commencé en 1975. Ceux qui ont moins de vingt ans n'ont connu que la guerre. Ils ont du mal à appliquer les principes moraux qui régulent une société saine. On va avoir beaucoup de problèmes dans le futur pour les faire changer de mentalité, pour construire une société dans laquelle ces individus soient plus portés à faire le bien. On a avec eux des rapports très difficiles, même combatifs."

Le chef de quartier Paul Névès, seul vestige d'autorité dans une ville dépourvue de toute organisation sociale, espère un avenir meilleur pour ses jeunes. "Si la situation s'améliorait, ils deviendraient beaux. Mais des enfants qui ne vont pas à l'école et qui n'ont rien deviennent des macaques." L'école a repris. Mais Ganda demeure enclavée et la situation n'offre aucun loisir pour les jeunes comme Ahora. "Des loisirs ? Ca n'est pas vraiment possible... Je reste avec mes amies, assise. Quelquefois je lis un peu, je vais aux champs. Quand je reviens, je reste à la maison." Quant aux garçons de son âge, ils sont passés, eux, des jeux de guerre à la réalité. La plupart portent déjà les armes et l'uniforme.

Ahora La Malta n'a qu'une vague idée de ce à quoi ressemble la vie d'une adolescente comme elle dans un pays sans guerre. Mais, comme bien d'autres jeunes Angolais, elle rêve de jouer à la paix. "Si quelqu'un me disait 'Partons!', je partirais. Je ne peux plus rester ici. La vie est terrible ici. On est complètement isolés."

Robert Bourgoing


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