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Internet et l’Afrique : les autoroutes de l’ignorance ?

L’expansion rapide d’Internet, réseau informatique mondial, a des effets pervers en Afrique. Des publications spécialisées internationales disparaissent au profit de versions électroniques. Un coup dur pour des régions sevrées d’informations.

A Kitenge, petit village zaïrois sans téléphone ni électricité, à 680 kilomètres de Lubumbashi, vous ne trouverez pas d’"internautes qui surfent sur le Net". Et pourtant, les autoroutes de l’information font jaser. Cette année, des magazines internationaux spécialisés, distribués gratuitement depuis des lustres sur le continent africain, ont été remplacés par des versions électroniques. "Ici, l’unique source d’informations sur l’élevage et l’agriculture était la revue "Cérès" publiée par la FAO à Rome, raconte l’éleveur de porcs Pierre Mwando. La rédactrice en chef nous a informés que Cérès cessait de paraître avec le numéro de mars-avril 1996. Au nord du Shaba, cela va sûrement nous marginaliser davantage. Nous sommes cuits !". En remplacement de Cérès, qui était distribuée dans 176 pays, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) mettra au point un service d’information incorporé à sa page Web. Les anciens lecteurs ayant accès à Internet y trouveront des informations sur l’élevage, l’agriculture, etc.

Comme Cérès, le magazine canadien "Le CRDI-Explore" du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) n’est plus publié sur papier depuis avril 1996. Il est remplacé par une édition électronique hebdomadaire dans le World Wide Web. "Le rédacteur en chef du CRDI-Explore ne manque pas d’humour, souligne Nkulu Butombe, coordonnateur des écoles catholiques du diocèse voisin de Kamina. Il nous demande de nous abonner à leur liste de distribution pour recevoir chaque semaine, dans notre boîte électronique, des articles sur l’agriculture, la pisciculture, la pêche et l’élevage. Nos amis occidentaux connaissent bien nos conditions de vie en milieu rural. Comment pouvons-nous avoir une boîte électronique en brousse où nous n’avons ni ordinateurs, ni téléphone ?"

Dans les ornières de l’inforoute

Les habitants de la province du Shaba ont des raisons de désespérer. Dans le domaine de la presse, Lubumbashi ne dispose d’aucun quotidien et d’aucun magazine spécialisé en agriculture, en éducation ou en élevage. Pour des raisons économiques, plusieurs "hebdomadaires" comme "Nyot" (Etoile), "Muten" (Soleil) et l’"Onomastique" ne paraissent qu’une fois tous les deux ans ! Quant à la radio d’Etat ("Voix du Zaïre") et "Zénith", la radio privée des prêtres salésiens, leur aire de diffusion ne dépasse pas les 50 km. La capitale économique et deuxième ville du Zaïre n’est branchée ni au courrier électronique ni à Internet. L’accès au téléphone est lui-même problématique. Face à ce "désert" dans le domaine de l’information, les radios étrangères et les magazines en provenance de l’étranger sont les seuls phares qui éclairent encore les Zaïrois du Shaba sur l’actualité politique, économique et agricole. Le CRDI-Explore s’adressait d’abord aux chercheurs. Mais dans des régions coupées d’accès à l’information, le cercle des lecteurs débordait largement le milieu de la recherche. Comme pour la revue Cérès, un seul exemplaire pouvait être lu par 200 ou 300 personnes. Leur disparition est durement ressentie par de nombreux ruraux. Les autoroutes de l’information, sans doute très utiles dans le monde moderne, les ramènent, croient-ils, à l’analphabétisme.

"J’ai reçu des centaines de lettres de gens qui utilisaient notre magazine pour apprendre l’anglais ou le français, souligne Robert Charbonneau, chef des publications du CRDI à Ottawa. Mais est-ce notre rôle de publier du matériel général pour faire l’apprentissage des langues ? Je ne crois pas." Comme les destinataires du CRDI-Explore étaient à 85 % des lecteurs de pays en développement, pour la plupart sans accès à Internet, M. Charbonneau reconnaît que l’information diffusée par le CRDI ne circulera plus comme avant. "Il est évident que c’est un virage à 180 degrés. Mais nous sommes forcés de le faire pour des raisons financières." M. Charbonneau explique que les coûts d’impression et d’acheminenement par la poste du CRDI-Explore, publié quatre fois l’an à 15 000 exemplaires dans une centaine de pays, étaient devenus trop lourds pour l’organisme canadien. A Rome, les ex-employés de Cérès sont encore sous le choc de la décision. "Je reçois des lettres d’indignation du monde entier, raconte l’un d’eux. Plusieurs me disent que nous étions leur seule source d’information ! Notre public-cible était les pays en développement. Quelle a été la prise en compte de leurs intérêts dans cette décision ? Je ne sais pas." De son côté, la directrice de la division de l’Information à la FAO, Karin-Lis Svarre, demeure consciente que "de nombreuses personnes vivant dans les communautés rurales, en Afrique par exemple, ne pourront plus avoir autant d’informations que par le passé". Mais elle ajoute que la disparition de Cérès était inévitable à cause des contraintes budgétaires qui frappent la FAO.

Pour adoucir les effets de la disparition de ces magazines, le CRDI et la FAO envisagent la possibilité d’expédier à leurs anciens destinataires un recueil de textes imprimés qui auront été diffusés dans leurs sites Web. Ils demeurent toutefois optimistes quant à l’extension des inforoutes à l’Afrique. "Je reste convaincu que dans deux ou trois ans, explique Robert Charbonneau, notre public-cible (ndlr : les chercheurs) nous aura rejoints sur Internet." Un point de vue partagé par Mme Svarre : "Un certain nombre de ces pays sont déjà fort bien connectés. (...) il n’y a aucun doute que tous dans l’avenir rejoindront le réseau Internet."

Pour l’instant, le Zaïre, comme la plupart des pays africains, ne dispose d’aucun accès aux services interactifs d’Internet (sur 53 pays, à peine une dizaine, l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Ghana, le Kenya, la Tunisie, la Zambie, le Zimbabwe, le Maroc et la Côte d’Ivoire y ont accès). Leur implantation en Afrique se heurte à d’énormes difficultés. Pour utiliser pleinement les sites électroniques du CRDI et de la FAO, on doit disposer d’un gros ordinateur couleur multimédia ainsi que d’un réseau de télécommunications fiable et performant. Ces réseaux sont généralement défaillants ou inexistants sur le continent, et les ordinateurs restent hors de prix pour les Africains, à l’exception de quelques privilégiés.

Comble de l’ironie, dans leurs dernier et avant-dernier numéros imprimés, Cérès et Le CRDI-Explore consacraient chacun un dossier à Internet et les pays en développement. Dans la revue Cérès, un reportage soulignait ainsi les périls de l’implantation des nouvelles technologies de l’information pour les pays du Sud : "... comme de plus en plus d’informations sur le développement scientifique et technologique ne sont disponibles que sur Internet, la question se pose : A-t-on élargi le fossé qui sépare les pays riches et pauvres en ajoutant un facteur, celui de la ‘pauvreté en information’ ?".

Bethuel Kasamwa-Tuseko
& Robert Bourgoing
        
(1ière publication : oct. 96)

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