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Femme moderne et chef traditionnel zoulou

Dans la nouvelle Afrique du Sud, Nelson Mandela veut démocratiser les campagnes. Une femme moderne prend la défense des chefs zoulous traditionnels.

Dans son canapé en cuir rose, Sibongile Zungu sifflote et se balance au rythme des derniers succès américains. La télécommande de sa chaîne stéréo à la main, elle dévoile entre deux plages de disque laser, sa passion secrète : gratter des billets de loterie en rêvant au gros lot qui lui permettra d'acheter de belles robes et une nouvelle voiture. Cette jeune femme peut en quelques instants se métamorphoser en un personnage grave et posé, répondant aux questions de façon presque solennelle, parfaitement à l'aise avec ses habits de chef traditionnel et son sceptre, symbole phallique de l'autorité.

Sibongile Zungu est une femme étonnante. Il y a quatre ans, cette mère de famille a marqué l'histoire du peuple zoulou en devenant la première femme chef traditionnel d'Afrique du Sud, le "nkosi" de la tribu de Madlebe, dans le Kwazoulou-Natal, près de la frontière du Mozambique. Son histoire, pourtant, n'a rien d'un conte de fées. Alors qu'elle étudie la médecine, son fiancé lui révèle un jour qu'il est promis à la chefferie de Madlebe. Seule condition : il doit d'abord se marier. Sibongile souligne l'ironie du destin. "Quand j'étais enfant, j'allais à l'église et ma famille m'avait appris à rejeter toutes ces coutumes traditionnelles zouloues. Nous étions des Zoulous civilisés et ces choses n'étaient pas considérées comme civilisées." Elle accepte la proposition et lui donne deux filles.

Mais en 1989, un drame bouleverse son existence. Elle survit à un grave accident de voiture où elle perd du même coup son mari et celui qui devait lui succéder, le fils dont elle était enceinte. Comme le veut la tradition pour une veuve, ses beaux-parents la proposent en mariage au demi-frère de son mari. Médecin et indépendante financièrement, elle refuse, quitte la maison de ses beaux-parents et revendique les fonctions de son mari. Sibongile Zungu n'accepte pas sa disparition. "J'étais si attachée à lui que j'ai senti que je devais terminer ce qu'il avait entrepris." Le demi-frère éconduit revendique la chefferie pour lui-même et la traîne devant les tribunaux. En 1991, la Cour suprême d'Afrique du Sud le déboute et donne raison à Sibongile Zungu.

Une neutralité difficile

La charge qui l'attend est écrasante. "Si c'était à refaire, dit-elle, je ne recommencerais pas." Les hommes voient d'un mauvais oeil que leur chef soit une femme seule et professionnelle. Les femmes acceptent encore plus difficilement l'autorité d'une autre femme. Aux dernières heures de l'apartheid, Madlebe est une poudrière. Les 70 000 sujets du chef Zungu, partisans de l'ANC ou de l'Inkatha, s'entre-tuent par dizaines. Dans cette communauté extrêmement divisée politiquement, les deux partis courtisent sans succès le nouveau chef Sa maison est alors incendiée, sa voiture détruite par une bombe, et elle est obligée de placer ses deux filles dans un pensionnat pour leur sécurité. "Il est difficile de rester neutre à Madlebe. Mais c'est sain. J'ai mes propres opinions politiques. Et aucun parti ne me satisfait."

Depuis l'élection présidentielle, alors que le reste du Kwazoulou-Natal est à feu et à sang, le chef Zungu a réussi à ramener une paix relative à Madlebe. Elle a prouvé sa compétence et son indépendance d'esprit. Ses sujets apprécient qu'elle se consacre entièrement aux affaires de la tribu et voient maintenant d'un bon oeil qu'elle ne soit pas mariée. Son autorité établie, Sibongile Zungu s'est maintenant fixée un nouveau défi : défendre et maintenir le statut des chefs traditionnels zoulous.

Nelson Mandela veut démocratiser les campagnes sud-africaines en y faisant élire, le premier novembre prochain, des administrations locales (leur composition et leurs pouvoirs restent à définir). Au Kwazoulou-Natal, ces élections sont au coeur de la lutte que se livrent l'ANC et l'Inkatha pour le contrôle politique de cette province à majorité zouloue.

Les régions rurales, selon M. Mandela, ont besoin de bureaucrates et de fonctionnaires pour construire les logements et les réseaux de distribution d'eau et d'électricité qui leur font cruellement défaut. Il estime que ce travail n'est pas de la compétence des chefs traditionnels. Pour le chef de l'Inkatha, Mangosutu Buthelezi, le président Mandela vise, par ces élections, à mater les Zoulous et à en faire des Sud-africains comme les autres. Depuis peu, une loi votée par Pretoria a fait de tous les chefs tribaux des salariés du gouvernement central. Si, de plus, ils sont limités à des fonctions spirituelles et cérémoniales, le chef de l'Inkatha craint d'être privé de sa base de soutien. Il invite donc les Zoulous à boycotter ces élections qui, dit-il, sont une tentative de nier leur culture, leur histoire et leur identité.

Une Chambre des Lords zouloue

Sibongile Zungu est à mi-chemin des opinions que représentent Nelson Mandela et Mangosutu Buthelezi. Dans la même journée, peuvent débarquer chez elle des amies en pantalon venues écouter de la musique pop et boire une bière, et un vieil homme rampant à genoux, les mains jointes, manifestant ainsi le respect et la crainte qu'elle inspire. Pour que les Zoulous progressent, elle croit qu'ils doivent, comme elle, puiser à la fois dans le passé et dans le présent. "Les Britanniques, fait-elle remarquer, ont su maintenir la tradition avec la monarchie et la Chambre des Lords (non élus) tout en optant pour la modernité en se dotant d'une Chambre des Communes. Pourquoi pas nous ?" Les chefs, ajoute-t-elle, sont ceux qui connaissent le mieux les besoins des paysans et qui ont l'autorité concrète et les moyens de faire bouger les choses. C'est pourquoi leurs pouvoirs doivent non seulement être maintenus mais étendus à tous les niveaux du gouvernement.

Sibongile Zungu ne croit pas que la démocratie à l'occidentale soit une solution pour les Zoulous. Elle leur imposerait la règle de la majorité alors que leur société fonctionne par consensus. "Si, par exemple, on doit décider du meilleur endroit pour installer un nouveau réservoir d'eau, si une jeune fille est enceinte mais qu'elle doute de l'homme à qui revient la paternité, toute la communauté est impliquée et doit arriver à un compromis." Le système traditionnel, n'a, d'après elle, rien à envier au système occidental. "Il y a un certain niveau de démocratie dans les structures tribales. Des représentants sont élus par la communauté pour s'occuper de différents comités (routes, éducation, santé, sports et loisirs, agriculture, eau) qui se rapportent au chef. Dans nos sociétés traditionnelles, on n'a pas de manifestes ou de campagnes électorales. Les élections se déroulent calmement et les candidats sont choisis selon leurs compétences, leur âge et les contributions qu'ils ont faites aux affaires de la tribu."

S. Zungu profite de toutes les occasions qui lui sont offertes (conférences de femmes, réunions politiques, interviews dans les médias, etc.) pour faire avancer son idée de Chambre des Lords zouloue. Mais le compte à rebours des élections est déjà bien entamé et elle est consciente que son projet ressemble à une mission impossible : "Il faudrait un miracle pour que les choses changent. J'attends ce miracle, sans quoi nous aurons des problèmes".

Les Zoulous, qui n'avaient jamais entendu parler de partis politiques jusqu'en 1985, ressortent meurtris et profondément divisés après la lutte contre l'apartheid. La plupart des chefs sont identifiés pour leur appartenance politique. Les terres tribales sont découpées en zones d'influence de l'ANC et de l'Inkatha. Les gens ne s'aventurent plus à traverser ces zones ennemies pour, notamment, se rendre à la cour, ce qui paralyse le système de justice traditionnelle.

Après Sibongile Zungu, trois autres femmes sont devenues chefs en Afrique du Sud. Elle a créé un précédent mais elle demeure une exception. La plupart des chefs ont conservé une attitude féodale dans l'exercice de leurs pouvoirs. Très peu allient comme elle tradition et modernité.

Robert Bourgoing
(1ière publication : sept. 95)


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